Après le Nouveau Roman, la « new romance ». Ce genre littéraire apparu il y a une dizaine d’années dans le sillage de « Cinquante nuances de Grey » consiste à placer l’histoire d’amour au centre. Harlequin oui, mais Harlequin nouvelle génération. Et ça marche. La new romance a dominé le top des ventes de livres en France en 2023, avec 6 millions d’ouvrages écoulés. L’une des égéries de cette catégorie s’appelle Morgane Moncomble. À 27 ans, cette Val d’Oisienne a réussi l’exploit de se hisser à la 10e place des auteurs les plus vendus du pays. Non contente d’être la reine des best-sellers, Morgane Moncomble est aussi une redoutable community manager. Sur Instagram, elle partage avec ses 89 000 abonnés des photos, des playlists et des montages qui reflètent l’ambiance de son œuvre. Voici comment elle qualifie les personnages de « Un automne pour te pardonner » : « Camelia : dark academia. Lou : light academia. Rory : chaotic academia. » Perplexité totale. Après quelques recherches, je découvre que « Dark Academia » désigne l’univers des universités anglo-saxonnes passé à la moulinette du gothique. « Light Academia », la même chose mais en beige. Lire de la poésie sous un ciel bleu, sapé en Ralph Lauren. A la limite, on aurait pu se contenter de « Academia », mais bon, ce n’est pas moi qui choisis les termes. « Chaotic Academia » était un voyage auquel je n’étais pas préparée. On reste dans les campus et les bibliothèques poussiéreuses, mais avec une touche de désorganisation. Aller à Oxford avec la cravate de travers. Avoir l’outrecuidance d’écrire dans la marge. Ne pas laver sa tasse de café. Un sacré truc de déglingos. Un certain nombre de livres relèveraient du « Chaotic Academia ». « L’Attrape-cœurs » de Salinger par exemple, ce que je peux à peu près concevoir. Sauf que ce serait aussi le cas de « Dracula » (c’est pas « dark academia » ?), de « La Servante écarlate » (y’a une histoire d’école là-dedans ?), de « Madame Bovary » (on serait pas en train de s’éloigner les gars ?). Ne dites plus que « 1984 » d’Orwell est une dystopie qui critique le totalitarisme. Dites que c’est « chaotic academia ». Vous arrêterez de passer pour un boomer. Ces définitions fascinantes, je les ai trouvées sur une page qui se présente comme le Wikipedia des « aesthetics » (esthétique), un vortex comme Internet en fabrique tant. Il s’agit de recenser les courants artistiques, qu’ils soient vestimentaires, musicaux, picturaux, littéraires… Certains sont tout à fait classiques : art nouveau, école de Pont-Aven, ligne claire… D’autres sont à ma portée, comme « normcore » ou « emo ». On en arrive à des choses bien plus abstraites. « Feralcore », par exemple, a trait au fait de devenir sauvage, avec des sous-catégories comme, accrochez-vous, « Mothcore » (photos de papillons de nuit) ou « Pigeoncore ». Il y a même « Lichencore », pour la passion du… lichen. « Meatcore », pour les fans d’image de viande. « NATOwave », l’association de visuels de l’OTAN à une musique électro. « Vacation Dadcore » tourne autour des darons coolos en vacances, comme Tom Selleck dans « Magnum ». Ça se corse, encore et toujours plus : « Buckle Bunny » « recoupe les sous-genres “Coquette” de “Farmers Daughter” et de “Trailer Park Princess” ». Pourquoi le monde se morcelle-t-il à ce point ? Faut-il craindre que la création se limite à ces gimmicks ? Bon courage aux auteurs qui voudraient piocher dans ce royaume d’étiquettes chichiteuses. Vivement le premier roman « Buckle Bunny ». Amandine Schmitt |