« Nous voilà confrontés à une grande inquiétude. Ces dernières décennies, les valeurs de liberté, d’égalité, de fraternité et de solidarité, leur actuation dans une économie de marché semblaient aller de soi. Cependant, au plus tard depuis la chute du mur de Berlin en novembre 1989, elles semblent vaciller irrésistiblement sur leur base. Ce changement, que l’on peut tenir pour une résurrection de l’histoire, va de pair avec un bouleversement des principes moraux fondamentaux1. Il semble que nous soyons embarqués dans une profonde crise mondiale des valeurs, une crise qui a infesté notre démocratie. Sous nos yeux, des pays comme les États-Unis, la Pologne, la Hongrie et la Turquie accordent de moins en moins de crédit à l’État de droit démocratique et au système des valeurs sur lequel il repose. Donald Trump s’acoquine avec Kim Jong-un, Orbán pactise avec des dirigeants autocrates obscurantistes, le gouvernement polonais s’attaque à la séparation des pouvoirs et sape l’indépendance des tribunaux. En Allemagne, on assiste à une montée du terrorisme d’extrême droite – à l’instar des États-Unis, il semble que notre société se scinde en deux, entre d’un côté des forces libérales progressistes et de l’autre des groupes parfois ouvertement racistes, à tout le moins xénophobes et nationalistes. Cette crise des valeurs s’est accentuée avec l’irruption de la Covid-19, qui corrompt non seulement nos corps mais aussi nos sociétés. Bien entendu, dans un premier temps, cette pandémie a eu quelques effets bénéfiques. Dès mars 2020, on a senti une solidarité inhabituelle, provoquée par une décision morale sans précédent de nos instances politiques : pour sauver des vies humaines, sauvegarder notre système de santé et rompre les chaînes de transmission du virus, elles ont renoncé à l’impératif de la logique de marché du néolibéralisme. Alors que jusqu’à présent la crise du réchauffement climatique, pourtant bien plus funeste, ne nous a pas incités à accepter les pertes économiques nécessaires aux mesures morales adéquates, le phénomène inédit de la Covid-19 a eu tôt fait d’enrayer les mécanismes des chaînes mondiales de production. » |