Un an aprĂšs lâimmense succĂšs de son premier roman, La Sainte Touche, Djamel Cherigui revient avec Le Balato, dont la violence latente est contrebalancĂ©e par un humour aussi noir quâirrĂ©sistible, et par la bienveillance de lâauteur pour ses (anti) hĂ©ros, flamboyants paumĂ©s, qui tentent de trouver leur place dans un monde oĂč tout ne semble ĂȘtre quâun Ă©ternel recommencement.
Confirmation dâun style
Pour dĂ©crire son premier roman La Sainte Touche, nombreux Ă©taient ceux Ă invoquer diffĂ©rents auteurs, films et sĂ©ries. Quâun univers fasse penser Ă dâautres Ćuvres littĂ©raires ou audiovisuelles est inĂ©vitable, car comme le dit Djamel Cherigui en toute humilitĂ© : « Depuis les Grecs, on nâa rien inventĂ© » ! Mais, et son second roman Le Balato le confirme avec brio, Djamel Cherigui a su sâinscrire avec finesse dans ce flux dâĆuvres et dâauteurs dont il ne cesse de se nourrir et de sâinspirer, affirmant par-lĂ mĂȘme son statut dâauteur⊠mĂȘme si sa modestie le pousse Ă ne se dĂ©crire que comme « un Ă©picier qui Ă©crit ». Si lâon retrouve dans Le Balato ce style gouailleur oĂč sâentrechoquent termes argotiques, expressions kabyles, langage de la jeunesse et de la rue, on y dĂ©cĂšle encore plus lâimmense travail de lâauteur sur la langue quâil rend dansante, percutante, virevoltante. « Je les agite, les brimbale, les Ă©branle », « je crache, je tousse, je suffoque »⊠ce rythme ternaire, telle une valse des mots, anime le roman de bout en bout, en rendant la lecture naturelle et fluide. Le lecteur est emportĂ© dans un flot rapide et continu Ă©maillĂ© dâĂ©lans poĂ©tiques qui lui permettent de reprendre son souffle et qui lui ouvrent de nouvelles perspectives. Avec Le Balato, Djamel Cherigui offre au lecteur ce que ses auteurs prĂ©fĂ©rĂ©s lui ont offert : une porte ouverte sur dâautres univers. Dans ses dĂ©dicaces notamment, lâauteur invoque les anti-hĂ©ros de poĂštes et voyageurs au long cours qui ont façonnĂ© son voyage littĂ©raire et qui, si on leur en laisse la chance, peuvent transformer le nĂŽtre.
Un roman à la portée universelle
AprĂšs lâĂ©picerie la Belle Saison dans La Sainte Touche, Djamel Cherigui donne pour dĂ©cor au Balato le bar le Saturne (toujours dans le Nord, si cher au Roubaisien). Des lieux qui sont comme autant de petits thĂ©Ăątres du quotidien dont Cherigui a Ă©tĂ© un acteur et un observateur assidu, ce qui donne Ă ses romans ce goĂ»t de lâauthentique. Mais ces lieux sont aussi et surtout des lieux essentiels Ă la communautĂ©, oĂč chacun peut tenir un rĂŽle. Nous partageons tous cette angoisse de se sentir inutile, de ne pas trouver notre place. Tous les personnages du roman, surtout les deux jeunes Bombonne et le Suisse, sont Ă©branlĂ©s par cette sourde hantise⊠et chacun Ă sa façon, pas toujours trĂšs lĂ©gale, tente de renverser lâordre Ă©tabli pour sâĂ©lever et exister. Mais le combat est inĂ©gal, car tous font face Ă un monde pris dans ce que lâauteur appelle « lâimmuavolution », un monde oĂč tout se transforme mais rien ne change, un monde oĂč les traumas de lâHistoire, les secrets de famille, les successions dâespoirs et de dĂ©sillusions les enferment dans un Ă©ternel recommencement. Des thĂ©matiques universelles qui nous touchent tous, nous tous qui sommes engluĂ©s dans « cette masse collante et poisseuse quâon appelle communĂ©ment la condition humaine ». Et pourtant, parce que Djamel Cherigui ne juge aucun personnage, quâil regarde chacun avec tendresse, bienveillance et une bonne dose dâhumour, il laisse entrevoir lâespoir, la lumiĂšre et rappelle que dans anti-hĂ©ros figure bien le mot hĂ©ros.
Roman picaresque, saga familiale, fresque sociale, polar, roman dâamour et dâhumour, Le Balato est tout cela⊠et surtout le roman dâun auteur qui transforme lâessai et confirme son immense talent.
Juliette Courtois |