« Whatâs in a name ? demandait Juliette Capulet. Dans le mien il y a ma moelle et mon essence, et bien quâelle ait suppliĂ© RomĂ©o de se dĂ©faire du sien, lui promettant quâil ne perdrait pas au change, je sais que dans mon cas, je ne bĂ©nĂ©ficie pas de la mĂȘme flexibilitĂ©. Je mâappelle Taous, mon prĂ©nom signifie « Paon » en kabyle. Câest un vieux prĂ©nom, un prĂ©nom traditionnel profondĂ©ment ancrĂ© dans la culture amazighe, que lâon ne retrouve pas ailleurs (mĂȘme si « paon » se dit ÏαÏÏ/« taĂŽs » en grec et ŰłÙÙÙۧÙŰ·/« tawus » en arabe, sous forme de prĂ©nom, câest principalement chez les peuples amazigh quâon le retrouve, orthographiĂ© Taos ou Taous). Quand je me prĂ©sente Ă des Kabyles, et Ă dâautres BerbĂšres, il nây a pas de confusion possible. Ils mâidentifient immĂ©diatement et je deviens lâune des leurs, sans avoir Ă montrer dâautre signe. Câest mon passeport culturel, mon matronyme. Car ce prĂ©nom me vient de ma mĂšre, câest celui de sa grand-mĂšre. Ce nâĂ©tait pas prĂ©vu ainsi, mais câest devenu, avec le temps et mes luttes, une source de fiertĂ© : mon prĂ©nom sâinscrit dans une lignĂ©e fĂ©minine. Il a Ă©tĂ© choisi par une femme, en hommage Ă une autre femme, et si mon nom de famille ne peut pas remonter aussi loin dans la transgression puisque câĂ©tait celui de mon grand-pĂšre, jâai au moins sautĂ© la case du pĂšre. Apparemment, lui voulait mâappeler Hayat, qui signifie « la vie » en arabe, mais il sâest ravisĂ©, Ă©crivant plus tard dans ses mĂ©moires : « Jâai pensĂ© quâon ne peut pas sâappeler la vie tous les jours. » Aujourdâhui, je me dis surtout que comme je ne suis pas arabe et quâil ne lâĂ©tait pas non plus, ça nâaurait pas eu beaucoup de sens. Il mâa racontĂ© ensuite, plusieurs fois, que câĂ©tait lui qui avait choisi, et mĂȘme imposĂ©, mon prĂ©nom aprĂšs lâavoir entendu de la bouche de ma mĂšre, quand elle Ă©voquait sa grand-mĂšre. Le jour oĂč jâai rapportĂ© ça Ă ma mĂšre, son masque dâhabitude si neutre Ă lâĂ©vocation des mensonges et des affabulations de mon pĂšre a glissĂ© quelques instants, et jâai vu des flammes danser dans ses yeux. Ce prĂ©nom, comme sa signification, sont si Ă©troitement liĂ©s Ă son histoire quâentendre que mon pĂšre tentait de la piller sans vergogne a dĂ» lui donner des envies de violence que je comprends aisĂ©ment aujourdâhui. Ă croire que lâesprit colonial sâimmisce tout aussi bien dans les rapports intimes, avec aussi peu de scrupules quâĂ lâĂ©chelle continentale. Je le vois aussi quand je me prĂ©sente aux gens, dans leur façon de dresser mon profil Ă travers mon nom et ses origines. Je vois la surprise sur leur visage quand je leur dis que non, Merakchi nâest pas le nom de mon pĂšre, lui Ă©tait blanc, câest ma mĂšre qui est dâorigine algĂ©rienne. Parce quâavant mĂȘme que je ne dĂ©roule mon arbre gĂ©nĂ©alogique, ils ont dĂ©jĂ commencĂ© Ă Ă©crire mon histoire. » |