Qu’aurons-nous réellement appris de la chute de Credit Suisse, la page la plus noire de l’économie helvétique depuis le début du XXIe siècle (bien plus grave que le «grounding» de Swissair, à mon avis)? Ni le Conseil fédéral, ni la Finma et encore moins la Banque nationale n’apportent jusqu’à présent de réponse convaincante. Le point de vue du gouvernement est connu depuis longtemps. En mars 2023, lors de l’effondrement de l’ex-numéro deux bancaire helvétique, un établissement d'importance systémique, il a évité une catastrophe internationale en facilitant sa vente à UBS. En outre, les contribuables n’ont finalement pas payé les pots cassés. Sa solution était donc la meilleure. Cette semaine, l’autorité de surveillance des marchés financiers a un mis un terme à un volet de son analyse de cette débâcle, celui portant sur la concurrence. Etonnamment, la Finma juge que le bon fonctionnement du marché n’est pas remis en question, alors même que le nouveau géant bancaire occupe une place prédominante dans plusieurs domaines. A Genève, par exemple, la part de marché de la banque aux trois clés dans le crédit hypothécaire se monte à 46,3%, dans le canton de Vaud à 34,2%. Dans certains services bancaires aux entreprises, «il n'existe actuellement aucune alternative valable à l'UBS». Ces chiffres ne se trouvent pas dans le rapport de la Finma, mais dans une «prise de position» de… la Commission de la concurrence, publiée le même jour. Certes, une position dominante n’implique nullement un abus de position dominante. Préférant toutefois le contrôle à la confiance aveugle, la Comco «recommande à la Finma et à la BNS de surveiller les prix, les frais et les marges». En creux, il faut aussi y lire un appel aux autres établissements bancaires, suisses et étrangers: à vous de faire jouer cette concurrence en développant vos services dans ces domaines. Troisième élément de ce trio infernal, la Banque nationale persiste à défendre l’idée que davantage de fonds propres préviendront un nouveau Credit Suisse. C’est pourtant elle qui assurait que la banque aux deux voiles remplissait toutes les «exigences particulières» en la matière, seulement deux jours ouvrables avant d’être brutalement vendue à UBS. Comme le relève mon collègue Alain Bucher, ce durcissement réglementaire ne mettra pas les banques à l’abri d’une nouvelle crise de confiance. Ce qu’il faut maintenir, c’est la possibilité d’une banqueroute, y compris pour un établissement dit «too big to fail», qui constitue «un élément essentiel d’une saine gestion du risque». Et avant de vous laisser, un mot sur le vœu pieux de la semaine, exprimé par les banquiers privés à l’occasion de leur réunion annuelle, tenue à Genève. Ces derniers appellent le Conseil fédéral à mettre à l’agenda l’accès au marché européen dans le domaine des services financiers. Effectivement, jusqu’à présent, ce secteur majeur de la Suisse en est privé, les accords avec l’Union européenne portant d’abord sur l’exportation de biens et la libre circulation de la main-d’œuvre. Les banquiers souhaitent mettre à profit les négociations entre Berne et Bruxelles qui ont officiellement repris en mars, après une année de froid dans le sillage de l’abandon abrupt du projet d’accord-cadre en mai 2021. Fâcheuse coïncidence, le même jour nous annoncions que le vice-président de la Commission européenne, Maros Sefcovic, annulait sa visite en Suisse, insatisfait de l’avancée de ces discussions, que d’aucuns espèrent encore voir conclues d’ici la fin de l’année. En attendant, la place financière devra prendre son mal en patience. Un accès général au marché européen n’est pas pour demain, ni même après-demain. |