Une dérangeante impression de déjà-vu. Ou plutôt de déjà-lu. Mercredi 10 janvier, « Le Monde » a publié un article sur Philippe Caubère, qu’enfant j’avais adoré dans le film « La Gloire de mon père » et plus tard dans la pièce « Adieu, Ferdinand ! ». Le papier n’évoquait pas un nouveau projet artistique de l’acteur, mais la plainte déposée contre lui pour « atteinte sexuelle » sur mineure. En 2012, Philippe Caubère, alors âgé de 61 ans, a entretenu une relation avec P., une lycéenne de seize ans, qui rêvait de devenir comédienne. La plainte fait aussi état d’actes sexuels qui s’apparentent à des viols. Dans un communiqué, Philippe Caubère, présumé innocent, a reconnu avoir eu une « relation intime » avec P. « (…) la différence d’âge significative entre elle et moi aurait dû me conduire à ne pas entamer une telle relation », écrit-il, mais il assure qu’il n’y a jamais eu de contrainte. Une enquête a été ouverte et le dossier a été confié à la brigade de protection de la famille du Val-de-Marne. Après Vanessa Springora et Matzneff, Judith Godrèche et Benoît Jacquot, voici un nouveau cas de relation « sous emprise » entre un adulte et une adolescente. Mais le sentiment de « déjà-lu » ne vient pas seulement de cette triste accumulation d’affaires. En lisant l’enquête sur Caubère, j’ai d’abord pensé au dernier livre de l’écrivaine Maria Pourchet, « Western », qui évoque exactement ça : la relation tragique entre une star du théâtre, Alexis Zagner, et une jeune fille qui veut entrer au Conservatoire. Mais c’est surtout à « Lolita » de Nabokov que j’ai songé. Telle qu’elle est relatée, l’histoire entre Philippe Caubère et P. ressemble à un résumé de ce chef-d’œuvre de la littérature. On y retrouve exactement les mêmes étapes : - D’abord, l’homme mûr joue de son aura pour séduire la mère de la jeune fille qu’il convoite. Dans le roman, Humbert Humbert, écrivain raffiné, charme et épouse Charlotte Haze, la mère de Lolita, afin de tisser sa toile autour de sa proie. De son côté, Philippe Caubère aurait, d’après « Le Monde », installé « un jeu de séduction avec la mère de P. », grande admiratrice de son travail. - Ensuite, une fois la mère écartée, Humbert Humbert isole Lolita. Il l’entraîne dans un road-trip à travers les Etats-Unis et elle devient sa prisonnière, passant sa vie enfermée avec lui dans des motels. D’après le récit du « Monde », P. s’est très peu confiée à ses amis sur sa relation avec Caubère. Ce dernier lui conseille même d’« être économe de mots avec [ta mère] en ce qui concerne cette relation qu’elle ne supporte visiblement pas ». - Enfin, parce qu’il a épousé la mère de Lolita, Humbert Humbert devient le beau-père de l’adolescente. Il entretient dès lors une relation incestueuse avec la très jeune fille de douze ans. Caubère, lui, signait ses messages à P. d’un « ton papa imaginaire », cultivant une ambiguïté du même ordre. « Lolita » a été publié en 1955. Pendant des années, des lecteurs ont voulu voir en la jeune héroïne une « nymphette » séductrice et dans sa relation sous emprise avec Humbert Humbert une histoire d’amour transgressive. Pourtant, Vladimir Nabokov n’a cessé de répéter que sa Dolores (comme douleur) était une « pauvre enfant ». En 2023, il serait peut-être temps de relire « Lolita » avec les bonnes lunettes. Pas celles en forme de cœur. Elisabeth Philippe |