Alors que s’ouvre le Festival de Cannes, il est temps de décerner des prix aux acteurs incontournables de la scène littéraire: les éditeurs pour leur persévérance, les agents qu’on imaginait uniquement dans des films américains, les auteurs pas toujours très à l’aise sous les feux des projecteurs. Sans oublier, comme des techniciens indispensables au tournage d’un film, la foule de professionnels sans qui les livres n’existeraient pas. Entre autres: maquettistes chargés de penser la meilleure couv, correcteurs affûtés, attachés de presse qui courent toute la journée et, bien sûr, nos chers libraires.
Et puis il y a le public, qui se presse avec une curiosité gourmande dans les festivals. Car pour être moins célèbres que Cannes ils n’en sont pas moins importants, ces festivals littéraires disséminés un peu partout et la saison bat son plein: Bibliotopia à Montricher, Booklovers à Lausanne, Festival international de littérature à la villa Gillet à Lyon, du LàC à Collonges, des littératures policières à Besançon, du premier roman à Chambéry, pour n’en citer que quelques-uns. Précieux moments d’échanges, de lectures performées, de rencontres émouvantes, ces événements sont souvent fragiles financièrement et toujours menacés de disparition. Parce qu’ils ne peuvent exister sans la fréquentation du public, y aller donne l’occasion à chacun de devenir acteur dans ce fabuleux long-métrage aux mille rebondissements qu’est la vie littéraire.
Mais en attendant, décernons tous ensemble et avec enthousiasme le prix de la première œuvre ex-æquo à trois nouveaux venus au programme de QWERTZ cette semaine: Laura Chomet, Elisa Bories et Mathias Bonneau.
Bonnes écoutes et bonnes lectures ! Sylvie Tanette
Elisa Bories, A la guerre, ed. de l’Ogre
Dans son premier roman au texte expérimental et ardent, la diplômée des Beaux-Arts Elisa Bories triture la colère de son héroïne Agathe. En furie contre son employeur et le patriarcat, la jeune femme claque la porte d’une séance de travail, et explose comme une grenade. Un texte rageur porté par le souffle révolté des salariées en lutte contre l’oppression de la société sur l’individu. ST
Jenna, grande hypocondriaque amatrice d’agrumes rares, est accro aux «Nouveaux guérisseurs», show de télé-réalité en caméra cachée. Lorsqu'on lui diagnostique une maladie grave, elle soupçonne qu’elle sera sélectionnée pour la prochaine saison. Un premier roman à l’humour corrosif qui questionne les croyances et les injonctions à être la meilleure version de soi-même. PC Lire la suite
Fils d’agriculteurs, Mathias Bonneau a d’abord fui les paysages où il a grandi. Mais après des études d’architecture, il se plonge dans les forêts familiales et décide de devenir bûcheron. À partir du récit de ses douze premières saisons au bois, il livre dans ce texte puissant et sensible une réflexion sur le travail manuel et ce qu’il nomme le «virus de la forêt». EI Lire la suite
Invité d'honneur du festival BDFIL à Lausanne jusqu'au 18 mai, l'auteur-illustrateur français présente une rétrospective de son œuvre mêlant gastronomie et humour. Intitulée "La recette Guillaume Long", l'exposition permet de déambuler dans son travail et d'en découvrir les secrets de fabrication. EI/LD
Laure Murat, Toutes les époques sont dégueulasses, ed. Verdier, 80 p.
Spécialiste des querelles autour de la "Cancel Culture", Laure Murat résume, dans ce bref livre éclairant, les errements de l’argumentaire ciblant un prétendu puritanisme woke. A travers l’exemple des divers débats suscités par la réécriture de romans populaires, de Ian Fleming à Roald Dahl, l’historienne démontre que ces retouches sont essentiellement mues par des intérêts commerciaux. Stratégie marketing qui accouche d’un "mensonge historique" très éloigné du regard critique nécessaire à l’appréhension d'œuvres problématiques. NJ
Guide
Collectif, D’écrire ma ville - Yverdon-les-Bains, ed. Soleil Blanc, 144 p.
Le chef-lieu du district du Jura-Nord vaudois est la dernière élue de la jolie collection «D’écrire ma ville». A travers une centaine de textes, la ville, son château savoyard, sa Place Pestalozzi, ses librairies, ses lieux novateurs ainsi que ses origines lacustres et son passé ouvrier sont racontés par diverses voix, autant proches qu’éloignées du travail d’écriture. La ville est ainsi éclairée d’une lumière affectueuse par ses habitant.es et l’ensemble offre un patchwork polyphonique de mémoires vives, qui se lit comme une invitation à la promenade. C’est beau Yverdon au mois de mai! EI
Nouvelles
Adelheid Duvanel, La Correspondante, éd. Corti, 131 p.
Dans l’un de ses premiers recueils, Julie, une écolière, avait choisi ce sujet de rédaction: «Du droit d’être inapte à la vie». De fait, l’intégralité des nombreux personnages imaginés par la Bâloise Adelheid Duvanel (1936-1996) semblent mener une existence décalée, à la marge de la réalité, révélant cabosses, manques, et incapacité à trouver une place dans la société. Cette cinquième livraison lève un voile sur la vie d’Adelheid Duvanel alors en proie à des démons intérieurs et domestiques. Fragilité psychique et drogue hantent les pages de La Correspondante quand bien même on y trouve toujours cet humour désespéré si bien traduit par Catherine Fagnot. THS
Musique
Léo Henri et Elodie Durand, Lili et Nadia Boulanger - Une disparition de Maleine, éd. Philarmonie de Paris, 64 p.
Dans les dernières années de sa courte existence, Lili Boulanger - première femme lauréate du Grand Prix de Rome en 1913 - consacre toutes ses forces à créer un opéra de la première pièce de Maeterlinck, La Princesse Maleine. A sa mort, à seulement 24 ans, l'oeuvre reste inachevée et la partition demeure introuvable. Un mystère plane autour de cette composition disparue, mais c’est avant tout la relation prodigieuse entre Lili et sa sœur aînée Nadia - cheffe d'orchestre et pédagogue - qui forme le véritable fil rouge de ce récit intimiste et lyrique illustré par Elodie Durand et raconté par Léo Henry. SG
Podcast: Qui est vraiment Petzi?, Le point J
L’ourson en salopette et sa bande débarquent en Suisse, dans un nouvel album et une expo à BDFIL. Qui est vraiment Petzi? Thierry Capezzone, son dessinateur actuel, brosse le portrait d’un univers absurde et enchanté sans être gnangnan. CS
RTS Première, Quartier Livre, dimanche 18 mai à 16h
C’est un livre qui a pris tout le monde par surprise. En 2017 paraît aux Etats-Unis, puis en France, un ovni graphique. Une bande-dessinée colossale de plus de 400 pages, toutes dessinées à l’aide de stylos bille sur des carnets lignés. Le roman graphique s’intitule Moi ce que j’aime, c’est les monstres, il est l'œuvre d’une parfaite inconnue de 55 ans, l’Américaine Emil Ferris. Rencontrée à Paris en avril dernier, Emil Ferris revient sur la naissance de cet objet unique et sur les sources de son inspiration. Animation: Nicolas Julliard et Ellen Ichters
"Le matin du dimanche 23 juin 1940, Hitler visite Paris. Entouré de proches quʹil a soigneusement choisis, dont lʹarchitecte Albert Speer et le sculpteur Arno Breker, il entre dans une ville déserte." Michel Guénaire écrit le récit de cette visite, étape par étape, qui aura seulement duré 2h30, et apporte à ce jour hors du commun sa profondeur psychologique et historique. Un récit qui perce lʹun des derniers mystères de la Seconde Guerre mondiale.
Faut-il écrire pour, contre, avec l’intelligence artificielle? De plus en plus présente dans notre quotidien, l’intelligence artificielle envahit les établissements scolaires, le monde professionnel et même le domaine des arts et de la littérature. De l’analyse de texte à la rédaction automatique, de simple assistant virtuel à générateur de récits, l’IA semble s’approprier le processus créatif des écrivain·es. Représente-t-elle une opportunité inespérée ou une véritable menace quant aux métiers de la littérature? Le débat est ouvert!