Edito L’impression 3D va bouleverser la construction, la médecine…et l’alimentation
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René Trégouët Rédacteur en Chef EDITORIAL : En moins de 20 ans, l’impression 3 D, ou fabrication additive, a révolutionné l’industrie et ce marché mondial, en pleine croissance, dépassera le milliard d’euros cette année, et pourrait atteindre les 50 milliards d’euros en 2030, selon le cabinet d'études SmarTech Analysis. La France, il faut le souligner, est bien placée sur ce secteur stratégique, puisqu’elle se classe au 4ème rang mondial (avec un chiffre d’affaires de 500 millions d’euros), derrière l’Allemagne, les USA et la Chine. Parmi les techniques d’impression 3D les plus novatrices, il faut évoquer la stéréolithographie, une technique découverte en 1984 aux Etats-Unis, qui utilise la photopolymérisation pour fabriquer des modèles 3D à partir d’une résine sensible aux UV qui sera ensuite solidifiée par le passage d’un laser couche après couche. Mais depuis quelques années, l’industrie utilise de plus en plus la fabrication additive métal qui étend considérablement les possibilités d’application de l’impression 3D, notamment pour la production rapide de pièces complexes aux propriétés particulières, destinées aux secteurs automobile, aéronautique, spatial, ou encore nucléaire. En collaboration avec le laboratoire américain d’Oak Ridge, l’entreprise BWX Technologies (BWXT) travaille actuellement sur le développement d’une technologie de fabrication additive métal pour la conception de composants nucléaires. Ces chercheurs ont récemment réussi à produire, par impression 3D métal, des pièces pour un réacteur nucléaire à partir d’alliages haute température et de métaux réfractaires. A terme, ces chercheurs veulent fabriquer un réacteur nucléaire complet imprimé en 3D et l’Oak Ridge National Laboratory (ORNL) vise la mise en service du premier réacteur nucléaire de ce type en 2023. Si cet objectif est tenu, il en résultera, pour ce secteur sensible, des gains considérables en termes de coûts et de délais de production, mais aussi de fiabilité et de sécurité. Mais si l’impression 3D a déjà largement fait ses preuves dans le domaine de l’industrie, elle est également en train de s’imposer rapidement dans trois autres secteurs où on l’attendait moins : la construction, la médecine et l’alimentation. En août dernier, le professeur Sarbajit Banerjee, du département de Chimie de l’Université Texas A&M, a publié un article dans lequel il explique comment l’impression 3D est en train de transformer le secteur du bâtiment en lui permettant de réduire et de recycler ses déchets (Voir YouTube). Se fixant comme objectif de réduire l’empreinte carbone et énergie liée notamment au transport de matériaux pondéreux sur de longues distances, ce scientifique s’est demandé s’il ne serait pas possible d’utiliser pour la construction des matériaux disponibles sur place, comme la terre. Il a eu l’idée de concevoir une substance composite, faite de terre ordinaire et d’un additif, le chlorure d’azanium carboxyméthyle triméthyle (CTAC), qui est non toxique et d’origine naturelle. Et le résultat est étonnant, puisque cette mixture s’avère tout à fait appropriée pour la réalisation de revêtements externes imperméables de qualité, à faible empreinte carbone. Le Professeur Banerje se dit persuadé qu’il est possible de perfectionner son « mix » &ag rave; base de terre, pour pouvoir aussi fabriquer par impression 3D certaine éléments structurels de bâtiments. « Dans quelques années, je crois qu’il sera possible, pour les maisons individuelles, comme pour les immeubles collectifs, d’utiliser la terre présente sur place pour imprimer une partie non négligeable des éléments de construction, sans sacrifier bien sûr à la solidité et la longévité des bâtiments », ajoute ce visionnaire. Autre exemple frappant, il y a quelques semaines, un lieu d’accueil imprimé en seulement 10 jours a été inauguré dans une résidence d’Harfleur, en Seine-Maritime. Cette réalisation s’inscrit dans le cadre du programme Sphere, de réhabilitation de la résidence Maréchal de Lattre de Tassigny d’Immobilière Basse Seine, qui abrite 180 logements sociaux, qui rassemble le bailleur social Immobilière Basse Seine, Bouygues Bâtiment Grand Ouest et le cabinet Archétude. Ce projet vise à développer l’impression 3D dans le bâtiment, grâce au recours à un nouveau procédé innovant développé par la startup hollandaise CyBe. Celle-ci a mis au point un étonnant robot qui imprime directement sur site les parois en béton en différentes couches successives. Les murs ainsi imprimés sont compos&ea cute;s de plusieurs couches intégrant les matériaux isolants. Mais on peut aller encore plus loin et à Wallenhausen, en Bavière (Allemagne), un chantier en cours est en train de repousser les limites de l’impression 3D, avec la construction de ce qui devrait être le plus grand bâtiment résidentiel jamais imprimé en Europe : un immeuble de cinq logements locatifs, représentant 380 mètres carrés de surface habitable. Pour l’occasion, la société allemande Peri, leader mondial des coffrages pour le coulage du béton, a développé, en coopération avec Cobod, un fabricant danois d'imprimantes 3D, un outil qui fait beaucoup parler de lui : « Bod » (pour « Build-on-Demand », ou construction sur mesure). Pour ce chantier de démonstration, les ingénieurs ont eu recours à une nouvelle imprimante géante, capable, à l’aide de son système de cadre métallique à trois axes pour la buse, d’imprimer un bâtiment allant jusqu'à trois étages de 300 mètres carrés chacun. Ce robot imprimeur, très impressionnant, projette la pâte de béton à une vitesse pouvant atteindre 18 mètres par minute. Autre avancée majeure pour ce chantier, la firme HeidelbergCement a fourni 170 tonnes de matière d'impression sans aucun polymère. Gros avantage du procédé, le béton utilisé, bien qu’il ait une granulométrie différente des bétons classiques, comprend les mêmes adjuvants que le béton normal, et il est donc recyclable. Le dernier exemple d’utilisation de l’impression 3D dans la construction est encore plus impressionnant : la société XtreeE, spécialisée dans l’impression de grandes dimensions, va construire une passerelle de 40 mètres qui franchira d’ici 2023 le canal Saint-Denis à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Cet ouvrage sera l’un des premiers au monde à comporter un tablier totalement imprimé en béton. Le béton utilisé sera haute performance et combiné à une structure en nid d’abeille pour réduire de 60 % la quantité de matière nécessaire. Le second axe majeur de développement de l’impression 3D est celui de la médecine réparatrice et des biotechnologies. En avril dernier, une équipe de chercheurs israéliens a présenté un cœur bio-imprimé dont la taille ne dépasse pas celle d’une fraise. Cet organe, qui a été imprimé en moins de quatre heures, est composé de cellules, de vaisseaux sanguins, de ventricules et de chambres. Pour réaliser cette prouesse, les chercheurs ont développé un hydrogel issu des tissus adipeux du patient, ce qui limite sensiblement les risques de rejet. Il y a quatre ans, des chercheurs de la Queensland University of Technology (QUT), en partenariat avec un fabricant d’imprimantes 3D, ont réussi, pour leur part, à créer une oreille imprimée totalement fonctionnelle. C’est une petite fille âgée de 2 ans, atteinte d’une malformation congénitale de l’oreille externe, qui a bénéficié la première de cet exploit technique, ce qui lui a permis de retrouver une audition complète, grâce à cette oreille de synthèse non seulement fonctionnelle, mais indiscernable, d’un point de vue esthétique, d’une oreille naturelle (Voir Mail Online). En 2019, des scientifiques américains du Wake Forest Institute, un institut pionnier dans le domaine de la bio-impression, ont créé le premier système mobile de bioimpression de peau qui permet d’imprimer directement la peau sur une plaie ! (Voir Nature). Cet outil, testé avec succès chez l’animal, est capable de gérer sur place, de manière personnalisée, le traitement de plaies étendues en les scannant et en les mesurant, puis en déposant les cellules exactement à l’endroit où elles sont nécessaires pour recréer la peau. On mesure mieux les avantages d’un tel outil quand on sait que les plaies chroniques, c’est-à-dire celles dont le délai de cicatrisation est supérieur à 4 semaines, concernent 2 millions de Français. Parmi ces pathologies lourdement invalidantes, et douloureuses, on trouve les ulcères de jambe, les plaies du pied diabétique et les escarres dues à une immobilisation prolongée. L’outil développé a réussi à combiner une technologie de bio-impression, capable de déposer rapidement des matériaux et des cellules, et une technologie d’imagerie par balayage des plaies pour mesurer précisément la topologie de la plaie et permettre de projeter les différentes catégories de cellules exactement sur les zones spécifiques à traiter. Toujours en 2019, des chercheurs de l’Université de Newcastle ont mis au point pour la première fois une cornée artificielle imprimée en 3D, destinée à être transplantée. A partir d’une seule cornée humaine saine, ils ont pu imprimer en 3D 50 cornées artificielles, ce qui ouvre évidemment de nouvelles perspectives en ophtalmologie pour mieux traiter des pathologies visuelles aujourd’hui sans réponses satisfaisantes (Voir Newcastle University). Une autre équipe brésilienne, du Centre de recherche sur le génome humain et les cellules souches (Université de São Paulo) a réussi, à l’issue d’un processus de fabrication de seulement trois mois, à produire par impression des organoïdes hépatiques, ou « mini-foies », capables d’assurer toutes les fonctions du foie, qu’il s’agisse de la production de protéines, du stockage de vitamines, ou de la sécrétion de bile. Ces recherches ont montré qu’il était possible de combiner de manière très innovante les techniques de bio-ingénierie, comme la reprogrammation cellulaire et la culture de cellules souches pluripotentes, avec la bio-impression 3D. En juin dernier, des chercheurs chinois, de l’Université du Sichuan sont parvenus, sans intervention chirurgicale, et uniquement par photo-impression 3D, à imprimer des tissus, de la forme d’une oreille humaine, sous la peau d’une souris. (Voir Science Advances). Ces travaux, remarqués par la communauté scientifique, prouvent qu’il est possible de réparer ou de créer des tissus, aussi complexes que ceux d’une oreille, sans aucun implant chirurgical. Ces recherches ouvrent également la voie vers une médecine réparatrice par photo-impression. Concrètement, la technique utilisée consiste à injecter une bio-encre dans les tissus endommagés d’un patient et d’activer cette encre à l’aide d’un faisceau de lumière d’une longueur d’ondes spécifique proche, dans le cas présent, de l’infrarouge. Il est ainsi possible de construire, couche par couche, une structure cellulaire qui peut réparer des nerfs ou vaisseaux sanguins, de manière non invasive, ce qui limite considérablement les risques de complications et d’infections. Il y a quelques semaines, des chercheurs australiens du Murdoch Children’s Research Institute (MCRI) ont fabriqué des reins humains miniatures par bioimpression de cellules souches. Ces organoïdes bioimprimés en 3D ont fait la preuve de leur capacité à dépister la toxicité des aminoglycosides, une classe de médicaments connus pour causer des lésions rénales chez l’homme (Voir Nature). Ils devraient également s’avérer précieux comme modèle, pour progresser dans l’étude des différentes formes d’insuffisances rénales. A plus long terme, lorsque les chercheurs parviendront à augmenter sensiblement le nombre de structures néphroniques produites, il sera sans doute possible d’imprimer des organes entiers et fo nctionnels, qui pourront alors être transplantés, ce qui serait une immense avancée médicale, compte tenu de la pénurie chronique d’organes et des demandes de greffes de plus en plus nombreuses. Mais un autre secteur, sans doute celui où l’on attendait le moins cette technique de bio-impression, est lui aussi en train d’être bouleversé par ces nouveaux outils additifs, l’alimentation. La start-up espagnole Novameat, surfant sur l’engouement pour les « steaks végétaux », a mis au point une matière nutritive composée de petits pois, de protéines, de riz, de graisse de colza et de fibres d'algues. Cette substance est compatible avec une technologie d’impression alimentaire qui permet de produire de la « viande végétale » qui ressemble à s’y méprendre, tant au niveau de la texture que du goût, à de la viande animale. De leur côté, des chercheurs de l’Université de technologie et de design de Singapour (SUTD) misent sur une large palette de produits laitiers imprimés en 3D. Ils ont développé une nouvelle technique permettant d’imprimer en 3D des produits à base de lait à température ambiante, en conservant toutes les qualités nutritionnelles des nutriments, ce qui relève de l’exploit. Pour parvenir à ce résultat, les chercheurs du SUTD ont modifié les caractéristiques de viscosité des « encres » utilisées et ont découvert qu’en modifiant le niveau de concentration de la poudre de lait, on pouvait concevoir et produire des encres de lait imprimables en 3D. Comme le précise le Professeur Lee Cheng Pau, qui dirige ces travaux, « Cette méthode novatrice mais simple d’extrusion à froid ne c ompromet pas les nutriments sensibles à la chaleur et offre un vaste potentiel pour l’impression en 3D d’aliments esthétiquement agréables et nutritionnellement contrôlés, adaptés aux besoins individuels, particulièrement pour les seniors et les personnes hospitalisées ». En Suède, pays à la population vieillissante, la municipalité de la ville d’Halmstad travaille à la conception et la production d’aliments imprimés en 3D dans ses maisons de retraite. L’idée est de stimuler l’appétit, souvent défaillant, des personnes âgées en leur proposant une grande variété de plats, esthétiquement attractifs et plus faciles à mâcher et à avaler. Enfin, il y a quelques semaines, une équipe de chercheurs de l’Université de São Paulo au Brésil, de l’école nationale vétérinaire Oniris à Nantes et de l’INRAE, a développé une nouvelle technique pour transformer de l’amidon de manioc et de blé en gels utilisables comme encre pour imprimer les aliments en 3D. Le processus mis au point consiste à chauffer de manière rigoureusement contrôlée l’amidon de manioc et de blé dans un four. La technique mise au point a l’avantage d’être simple, bon marché et facile à mettre en œuvre à l’échelle industrielle. Elle pourrait permettre de personnaliser les formes, les textures, les saveurs et les couleurs des aliments imprimés en 3D. Par ailleurs, cette technique pourrait également être utilisée pour imprimer des « alicaments », ces composés alimentaires très en vogue, présentant des effets préventifs ou thérapeutiques (réels ou supposés) contre certaines maladies de « société », comme les affections cardio-vasculaires. Evoquons enfin, pour terminer ce rapide tour d’horizon, des potentialités presque infinies d’utilisation de l’impression 3D dans tous les secteurs d’activités. De récentes recherches du MIT qui montrent que notre attirance et notre appétence vis-à-vis des aliments est fortement liée à leur couleur, leur forme et leur consistance. Ces recherches ont montré que plus la forme ou l'aspect d'un aliment est complexe, plus nous avons l’impression d'avoir davantage de nourriture et plus nous éprouvons une sensation de satiété une fois l'aliment consommé (Voir UCL). Au cours de ces expériences, les chercheurs ont notamment observé qu’à quantité égale, les personnes testées préféraient manger du bacon sous forme de ficelles torsadées, plutôt que sous la forme classique de petits morceaux. Interrogées sur leur choix, les personnes ont précisé qu’elles avaient l’impression d’être plus rapidement rassasiées en choisissant les formes plus complexes. Ces recherches ouvrent de nouvelles perspectives pour concevoir, en combinaison avec la bio-impression 3D, des repas plus équilibrés et plus diététiques, assurant exactement l'apport calorique nécessaire aux différents publics, notamment dans les établissements accueillant les personnes âgées et en milieu hospitalier. Ce que nous montrent toutes ces découvertes et avancées scientifiques, c’est que, demain l’impression 3D, combinée à des systèmes robotiques sophistiqués, utilisant massivement toutes les ressources de l’intelligence artificielle et de nouveaux matériaux, sera partout, dans nos usines, mais aussi dans tous les laboratoires médicaux, les hôpitaux, les maisons de retraites, les chantiers de construction, sans oublier nos cuisines et nos ateliers de bricolage. Cet ensemble de technologies extraordinaires permettra de produire à la demande une variété infinie de produits et d’objets, pour un coût financier, mais aussi, et ce point est crucial, énergétique et environnemental bien inférieur à celui d’aujourd’hui. Cette montée en puissance impressionnante de la fabrication additive nous montre que la recherche doit savoir se structurer autour de projets reposant sur une interdisciplinarité totale et une grande ouverture conceptuelle, car cette technologie associe de manière novatrice biologie, chimie, physique, énergie et information. Je pense ne pas faire d'erreur en affirmant qu’il ne faudra pas dix ans pour que la fabrication additive entre dans nos foyers, sous la forme de machine robotisée compacte, polyvalente et connectée et que cette technologie deviendra la clef de voute de l’économie circulaire, reposant sur le recyclage perpétuel, qui va s’imposer pour nous permettre de refonder notre développement sur des moteurs et principes respectueux de l’homme et de la nature. René TRÉGOUËT Sénateur honoraire Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat e-mail : [email protected] |