Chacun connaît le jeu du Cluedo où les joueurs cherchent à découvrir par déductions successives qui a tué le docteur Lenoir lors du dîner auquel tous les suspects sont invités. La polémique sur le grave dérapage des déficits publics tourne un peu au « Cluedo » du budget 2024 avec la décision de transformer la commission des finances en commission d'enquête chargée de découvrir la vérité sur ce qui peut expliquer le dramatique décalage entre les prévisions initiales et la réalité dévoilée en septembre par Michel Barnier. Dans le viseur, le Colonel Moutarde-Macron, mais aussi le Professeur Violet-Le Maire, Madame Pervenche-Borne, le docteur Olive-Attal, Mademoiselle Rose-la forteresse Bercy, ou Madame Leblanc-la faute à « pas-de-chance »...
Qui donc est responsable d'avoir laissé autant se dégrader la crédibilité financière de la France, désormais dans l'œil du cyclone des marchés financiers, des agences de notation et de la commission de Bruxelles ? Le procès va avoir lieu, ce qui permettra d'entendre les points de vue des principaux protagonistes de l'affaire. Bruno Le Maire, en première ligne puisqu'il est à Bercy depuis sept ans, va enfin pouvoir dire, sous serment, sa vérité sur les causes qui ont selon lui conduit à se tromper autant sur l'exécution du budget 2024. A l'Elysée, on s'inquiète déjà de voir la commission d'enquête affaiblir un peu plus le président de la République qui a refusé le PLFR proposé par le patron de Bercy. De fait, jusqu'au printemps, le chef de l'exécutif vivait dans le déni sur la gravité de la dérive des comptes publics : dans un entretien à l'Express en mai, Emmanuel Macron continuait de dire que la politique de l'offre et son objectif de plein emploi suffirait à résoudre la question des déficits. Selon lui, la France avait « un problème de recettes et pas de dépenses ». Ce qui ne l'empêchait pas de promettre de baisser de 2 milliards d'euros les impôts des classes moyennes en 2025.
Le plan Marshall de baisse des impôts a vécu et il est à peu près certain que la commission d'enquête ne fera que démontrer l'évidence : les 60 milliards d'euros de cadeaux fiscaux des débuts du quinquennat, qui ont fondé la fameuse politique de l'offre n'ont pas été financés, ni par une croissance plus forte, ni surtout et c'est le plus condamnable par un plan sérieux d'économies sur les dépenses publiques. Au contraire, celles-ci ont continué de filer sans réel contrôle, au-delà de la crise Covid. Exemple : quelques mois à peine après avoir réussi à imposer au forceps une réforme des retraites via l'usage controversé de l'article 49.3, Emmanuel Macron a dépensé en janvier 2024 plus que les économies annuelles permises par le report progressif du départ à 64 ans. Et ce simplement en décidant sans débat d'indexer les pensions de retraites sur l'inflation, à l'époque de plus de 5%. Ce cadeau électoral de 15 milliards d'euros aux retraités n'a pas empêché le pouvoir d'être durement sanctionné aux Européennes puis aux législatives anticipées. Les partenaires sociaux ont montré de bien meilleures qualités de gestionnaires en ne revalorisant cet automne que de 1,6% les retraites complémentaires... Entre temps, l'inflation est retombée sous les 2%. Cette erreur de prévision sur le retour à la normale des prix, plus rapide qu'anticipé, explique une grande part du dérapage des comptes publics cette année, en dépenses comme en recettes.
En attendant les conclusions du Cluedo du budget, les députés se sont livrés à un véritable jeu de massacre en donnant libre court à leur créativité fiscale pour corriger la copie présentée par Michel Barnier. Les amendements adoptés en commission des finances ne seront sans doute pas tous repris en séance, surtout si le gouvernement décide in fine de recourir à l'article 49.3 pour faire voter son budget pour 2025. Mais ils en disent long sur les injonctions contradictoires qui agitent une Assemblée nationale fragmentée comme jamais. Avec des incohérences majeures comme le vote d'une hausse à 33% de la flat tax qui met à terre la volonté affichée de limiter aux seuls très hauts revenus l'augmentation de l'impôt. La preuve que quand on commence à dire qu'il faut faire payer les « riches », le coup de bambou fiscal épargne rarement les classes moyennes.
Autre incohérence, d'origine gouvernementale, celle-là, la hausse de la taxe sur l'électricité, qui aurait pu effacer la baisse promise des prix : le gouvernement a juste oublié de prendre en compte la hausse parallèle des tarifs d'infrastructure liés à l'électrification du pays. Les députés, craignant une taxe carbone à l'envers sur les prix de l'électricité qui ruinerait tous les efforts de la transition écologique, ont donc rejeté la proposition du gouvernement qui voulait ponctionner 3 milliards d'euros sur les consommateurs via un relèvement des accises sur cette énergie. Résultat : un trou dans les prévisions de recettes du budget, qu'il faudra combler autrement. Les entreprises risquent bien de voir leur facture s'envoler un peu plus.
En réalité, la copie budgétaire pour 2025 suscite de plus en plus de doutes : plus personne, dans les entreprises comme chez les contribuables particuliers concernés, ne croit au caractère temporaire des hausses d'impôts annoncées. Car pour y croire, il faudrait que le gouvernement explique par quel miracle il va remplacer dans trois ans ces recettes présentées comme exceptionnelles mais en réalité indispensables pour tenir l'objectif de retour des déficits publics sous les 3% du PIB en 2029 (avec deux ans de retard). L'équation est insoluble, sauf à croire soit en un rebond miraculeux de la croissance que rien ne laisse prévoir à moyen terme, ou en une action vraiment résolue de réforme de l'Etat, dont ne prend pas vraiment le chemin. Quand on voit les cris et les pleurs de tous les ministres dont les budgets sont impactés par le tournant de la rigueur de Barnier, qu'il s'agisse d'Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition écologique et de l'Energie ou de Didier Migaud, celui de la Justice, pourtant bien plus père-la-rigueur lorsqu'il officiait à la Cour des Comptes, on se dit que le supplice du Cluedo budgétaire a encore de beaux jours devant lui... D'autant qu'après avoir en partie déconstruit le PLF 2025, les députés de la commission des affaires sociales s'apprêtent à faire de même cette semaine sur le budget de la sécurité sociale et de l'assurance-maladie. A suivre !
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