Elle se présente tous les six mois ou presque. Parfois, les jours passent et elle se fait attendre, mais je ne me fais pas de souci : je sais qu’elle revient de façon régulière, tout comme les radis. Je parle bien sûr de la double page dans la presse sur le président de la République « en quête de capteurs », qui « pour rompre son isolement », cherche à « prendre le pouls du pays ».
La forme, la teneur, le rythme, la structure : rien ne change. On évoquera cette grande silhouette byzantine, qui passe de salle en salle, dans un palais de l’Elysée à l’odeur de cire. La pulsion des « réformes » s’est tarie. Les amis d’hier sont partis. Tout est silencieux. Invariablement, un ancien conseiller rappellera que le pouvoir est un « exercice solitaire ». Invariablement, on parlera d’un proche, l’un des derniers, qui peut se permettre « de dire les choses » : « tu déconnes », « fais gaffe », « Achtung bicyclette ».
Ces articles sont un bonbon pour l’esprit. On y retrouve à la fois l’exiguïté et le souffle asphyxié de « La Reine Margot » et les lumières cyniques et froides de « l’Exercice du pouvoir ». A première vue, ils ne font que traiter du vieux ressort de l’Etat moderne – que pense la population ? – avec quelques innovations qui tiennent à la métaphore dominante (le très organique « prendre le pouls du pays » résiste bien) et au comique inhérent à la Macronie (« Michel, les sciences sociales, je ne comprends pas très bien, il faudrait que tu m’expliques »). Mais, au fond, ce qui fascine dans cette « quête de capteurs », c’est qu’elle nous place devant la terreur qui saisit l’homme du tertiaire, et peut-être même l’homme tout court, devant ce que le philosophe Clément Rosset appelait l’« idiotie du réel ». Que pensent les vrais gens ? Où sont les vrais gens ?
Les « vrais gens » sont tels les « furtifs » du roman d’Alain Damasio du même nom. Quand on pense les atteindre, ils s’évanouissent. Chacun a ses « vrais gens » : pour Emmanuel Macron, c’est Sabrina Agresti-Roubache (la gouaille, Marseille, etc). Pour moi, ce sont les personnes qui vivent le long de la D2152, entre la zone industrielle de Tavers et l’entrée de La Chapelle-Saint-Mesmin. Hélas, et c’est là tout le tragique, quand on parle à ces « vrais gens », leur caractère « vrai » tend à s’évanouir. Ils disent « des choses », mais pas « les choses ». Leurs propos sont trop précis et circonstanciés pour traduire ce que doit être le magma du pays, son énergie brutale et non taillée. Les Grecs s’en plaignaient déjà : le « multiple » trahit le « un ». C’est très ennuyeux. C’est pour cette raison que je compatis avec notre président. Sa quête est une quête inassouvie de « résonance ». Sans cesse, le réel nous échappe et l’on marche en son palais comme en son for intérieur.
Rémi Noyon