La gêne est visible et elle est compréhensible. Quand sur le plateau de BFM TV, la journaliste Apolline de Malherbe demande à Marine Tondelier si elle condamne les paroles du clip « No Pasarán », la cheffe des Verts patine un peu. Elle commence par dire que « les codes du rap sont comme ça », puis que ce n’est pas le sujet, puis qu’elle regrette la « culture du viol » et qu’il y a des chansons qu’elle aimerait que les « garçons de ce pays n’écoutent pas ». La gêne est compréhensible parce qu’on voit bien ce qui traverse l’esprit de Tondelier quand la question lui est posée : si elle commence à marteler que c’est dégueulasse, misogyne, honteux, elle risque d’entretenir les stéréotypes racistes sur les banlieues ; à l’inverse, si elle dit qu’il n’y a pas de problème, que « boys will be boys », elle passe sous silence une autre tension, celle des violences faites aux femmes. Ce piège, c’est précisément celui qu’avait tenté d’analyser la juriste américaine Kimberlé Crenshaw au début des années 1990. Dans son très célèbre article « Cartographie des marges », elle prend comme exemple les violences conjugales subies par des femmes noires et hispaniques. La dénonciation de ces violences s’avère une entreprise délicate. En effet, elle risque d’entretenir le cliché raciste de l’homme noir ou hispanique colérique et violent. Mais ne pas les rapporter, n’est-ce pas pire encore ? Prises entre deux attachements – l’antiracisme et le féminisme –, ces femmes « ne peuvent généralement que constater la marginalisation de leurs intérêts et de leurs expériences dans les discours forgés pour répondre à l’une ou l’autre de ces dimensions (celle du genre et celle de la race) ». Crenshaw, contrairement à ce qui lui a été souvent reproché, n’oublie pas non plus de citer l’influence de la pauvreté et des relations de classe. Sa solution pour dépasser ce problème ? Eh bien, s’autoriser à penser tout à la fois, à ne pas rabattre une dimension sur l’autre au nom d’une hypothétique stratégie de communication, considérer que les dominations s’entrecroisent, s’imbriquent et se recomposent toujours ; bref, s’autoriser un peu de complexité. C’est ce que tente très fugacement Marine Tondelier, quand après avoir rappelé que la culture du viol ne l’enchantait pas, elle évoque « la publicité » : manière de rappeler que le rap fait partie d’un bain culturel plus large et que l’objectivation et le rabaissement de la femme se retrouvent aussi sur les affiches du métro, dans les romans, au cinéma, etc. C’est aussi ce qu’elle tente en faisant une distinction au sein de ce genre musical, pour casser l’idée que ce serait par essence une musique sexiste C’est ce qu’on a fini par appeler « l’intersectionnalité », une sorte d’outil sociologique qui permet d’analyser plus finement les tensions qui traversent une société. Cet outil permet de voir – et de dénoncer – tout le sexisme qu’il y a dans « un coup de bâton sur ces chiennes en rut » (sans compter les propos complotistes : « c’est tous des francs-maçons », « ils veulent nous injecter une puce dans le sang », etc.), sans oublier ce fait massif et ces phénomènes structurants : 1) L’extrême droite, raclant le passé colonial, n’hésite jamais à animaliser certains Français soupçonnés d’être moins français que d’autres. 2) L’extrême droite, malgré sa tentative d’instrumentaliser le combat féministe, n’arrive pas à dissimuler son socle patriarcal. Il suffit de rappeler que Marine Le Pen trouvait que « va à la niche » prononcé contre une femme noire n’avait rien de raciste et citer ces trois députés RN posant fièrement devant un panneau « Va faire la soupe salope » adressé notamment à… Marine Tondelier. Rémi Noyon |