Législatives : finalement, les décideurs s’engagent | | « Nous devons respecter les opinions de nos salariés, de nos clients, de nos actionnaires, mais, en tant que citoyens, nous avons la responsabilité de participer au débat public et d'alerter sur les conséquences des programmes économiques qui sont proposés. » Stéphane Boujnah, directeur général d'Euronext, à l'initiative d'une tribune signée par 73 dirigeants d'entreprise dans Les Échos, a tranché. Pour lui comme pour les autres patrons présents à ses côtés, informer sur les répercussions économiques « si les partisans du repli et de la fermeture, ou ceux de la confrontation et de la radicalité, l'emportent dans quelques semaines », relève d'une forme de devoir civique. Coup d'arrêt à la réindustrialisation, ralentissement des créations d'emploi, difficultés d'emprunt pour financer notre modèle économique et social, remontée des taux d'intérêt, hausse des prix du logement, perte d'attractivité vis-à-vis des investisseurs étrangers, déclin de l'Europe agricole, énergétique et industrielle, déclassement français de type Royaume-Uni post-Brexit, la liste est longue et prend le risque de froisser une partie de leurs audiences. Patriotisme économique « Pour gagner, le meilleur atout de la France est l'innovation, et la priorité est à l'intégration européenne, à la diversité des talents et à l'attractivité des financements internationaux. Pas au retour du nationalisme ni à la tentation des extrêmes ou au repli sur soi, scande cette autre tribune publiée par France Digitale. Ne nous méprenons pas : il ne faut combattre ni l'innovation, ni l'Europe. Il ne faut interdire ni les capitaux étrangers, ni l'immigration légale de talents internationaux. » Pour certains dirigeants, le moment est trop important, trop solennel, pour continuer son petit « business as usual » et l'idée d'un rôle politique de l'entreprise – qui doit se traduire par une prise de position pour préserver l'attractivité des entreprises françaises – n'a jamais été aussi nécessaire. Et tant pis pour la prise de risque réputationnel ! Un discours soutenu par Patrick Martin, patron du Medef, dans une interview accordée au Figaro où il rappelle au passage que si « le Medef n'est pas un parti politique », son rôle, comme celui des entreprises, est de « rappeler que les propositions économiques doivent être traitées sérieusement, rationnellement, dans le débat politique. Je le redis, le programme du RN est dangereux pour l'économie française, la croissance et l'emploi, celui du Nouveau Front populaire l'est tout autant, voire plus. » Les grands patrons lanceurs d'alerte ? Équilibre précaire Pour d'autres, plus prudents afin de ne pas se mettre dans une situation délicate vis-à-vis de leurs clients ou de leurs salariés, la prise de risque est modérée et la parole plus mesurée. C'est ce que souligne Thomas Breuzard, directeur de Norsys et coprésident de B Lab France, dans cet article du site Youmatter. S'il a bel et bien appelé sur LinkedIn tous les responsables économiques à oser sortir du silence pour faire barrage à l'extrême droite, c'est avant tout en tant qu'administrateur et en tant que citoyen. « Il m'était difficile de rester muet mais cela m'a donné des sueurs froides car je respecte le vote de chacun et ne souhaite pas froisser ni des clients, ni des salariés, précise-t-il. Dans ce contexte de polarisation, le rôle des acteurs économiques n'est pas de souffler sur les braises, c'est pourquoi il faut trouver un juste équilibre. Certaines organisations professionnelles vont donc être plus neutres. » Voire muettes. Un numéro d'équilibriste qui résume bien la position nuancée des Français sur la question de la politisation des entreprises. Selon une enquête Odoxa de mai 2024 intitulée « Entreprise et progrès », 57% des Français (54% des salariés, 62% des cadres, 52% des ouvriers) pensent que les entreprises devraient inciter leurs salariés à aller voter, et 56% estiment que les entreprises sont « les plus à même de faire changer les choses en France ». Mais attention à ne pas engager la parole de l'entreprise en rendant publiques ses propres opinions politiques... L'exemple de Francis Holder, PDG du groupe Holder propriétaire des boulangeries Paul, comme celui d'Augustin Paluel-Marmont, l'un des deux fondateurs du groupe Michel et Augustin, qui s'étaient engagés en faveur de François Fillon pour la présidentielle 2017, avait déclenché un immense bad buzz sur les réseaux sociaux, où résonnaient des termes comme « pratiques patronales médiévales » et « atteinte à la liberté d'opinion ». Le tout ponctué d'appels au boycott un peu partout dans l'Hexagone. Silence calculé Attention également à ne pas tomber sous le coup de l'adage « Qui ne dit mot consent »... D'autant que, comme le rappelle Le Monde : « Depuis le choc politique du 9 juin, de plus en plus de chefs d'entreprise disent – en coulisse mais aussi en public – s'accommoder d'un possible gouvernement Rassemblement national plutôt que d'une coalition de gauche au pouvoir. » Michel Offerlé, professeur émérite de sociologie politique à l'École normale supérieure (ENS), ne dit pas autre chose. Dans cet autre article du Monde, il cite même l'Association française des entreprises privées (AFEP) qui, selon lui, « n'a pas volé immédiatement au secours de ses interlocuteurs "naturels" – la droite ou les macronistes –, peut-être aussi pour pouvoir discuter ensuite avec n'importe quel interlocuteur imaginable et pour éviter d'apparaître comme partie prenante des élites collusives parisiennes ». L'AFEP a depuis alerter sur « un risque majeur » de « décrochage durable » de l'économie française et une « tentation d'isolement international et de fuite en avant budgétaire » dans une tribune aux Echos. Michel Offerlé insiste sur le cas d'une autre structure pour appuyer son propos : « Les organisations patronales ont été incapables de publier un communiqué commun, car les dirigeants de l'Union des entreprises de proximité (U2P) n'ont pas voulu engager leurs adhérents. En effet, le poids démographique des très petites entreprises (TPE) parmi les entreprises est central − au moins 90% d'entre elles sont des TPE − et pour autant qu'on puisse le savoir, la percée du RN y est égale et supérieure à la croissance des suffrages parmi l'ensemble des votants du dimanche 9 juin. » Ce qu'Étienne Lamotte, directeur de la stratégie de Double 2, agence spécialisée en événementiel, contenus et influence, résume par un autre adage dans les colonnes de Stratégies : « "Connais-toi toi-même", et connais aussi tes consommateurs, leurs valeurs, leurs clivages et ce qui les rassemble. » Mais surtout ce qui les divise... Incontestablement, pour les entreprises, l'heure est à « réarmer » le département « Affaires publiques ». | | | | UN PAVÉ DANS LA JUNGLE | « Nous sommes victimes de désinformation », s'agace Laurent Buanec, directeur France de X (ex-Twitter), dans un entretien accordé aux Échos. Pour lui, le constat est clair : oui, les marques sont bel et bien de retour sur le réseau social. « Les grands événements comme l'Euro de football rappellent aux annonceurs ce que peut apporter X et ils reviennent ou, pour ceux qui ne sont pas partis, accroissent leurs investissements », appuie le patron de l'antenne parisienne du groupe. Et les chiffres de Médiamétrie publiés cette semaine vont dans son sens : avec 19,4 millions de visiteurs uniques par mois, X enregistre une hausse de 16% de son audience par rapport à 2022, année du rachat de Twitter par Elon Musk. De quoi susciter à nouveau l'intérêt des marques qui avaient progressivement quitté le navire, au point de faire fondre de moitié les revenus publicitaires du groupe en 2023 et de s'attirer les foudres du boss qui avait lâché en novembre dernier un « go fuck yourself » sur son compte personnel. Pourquoi c'est un pavé ? Parce qu'Elon Musk lui-même est venu passer de la pommade la semaine dernière lors de l'édition 2024 des Cannes Lions, aka « le festival international de la créativité publicitaire ». Et parce que, malgré les critiques concernant sa politique de modération des contenus et la récente polémique sur l'autorisation de publier des contenus pornographiques sur sa plateforme, ses équipes ont, à en croire l'article des Échos, « travaillé sur la sécurité des marques » pour « s'assurer que le message d'un annonceur ne se retrouve pas à côté d'une image dérangeante (pornographie, violence...) ou d'un propos relayant de la désinformation ou du harcèlement en ligne, notamment ». Des efforts qui ont même convaincu des spécialistes du brand safety, comme le Trustworthy Accountability Group (TAG) aux USA. « Ils ont fait des efforts pour apporter des gages de contrôles externes et des solutions de filtrage », acquiesce Clément Bascoulergue, directeur France d'Integral Ad Science, spécialisé dans la mesure de performance publicitaire. Et Laurent Buanec de conclure : « Dans le modèle d'affaires présenté après l'acquisition, il est question de se diversifier mais il a toujours été question que la publicité reste notre principale source de revenus. » | UN FORMAT À LA LOUPE | | Après TikTok Notes, qui reprend le fonctionnement de Pinterest, TikTok s'attaque désormais à Instagram ! Lancé en catimini le 7 juin dernier dans une douzaine de pays tests comme l'Australie, l'Afrique du Sud, le Panama ou l'Arabie saoudite, Whee est une application de partage de photos à mi-chemin entre Instagram, donc, et BeReal. Elle permet à ses utilisateurs de prendre des photos en direct, de les retoucher via une quantité astronomique de filtres, et de les partager à ses amis proches via un fil d'actualité. Tout comme le réseau social français BeReal racheté début juin par Voodoo pour 500 millions d'euros, Whee mise sur le partage privé et inclut une messagerie interne sur le modèle de celle proposée par l'appli phare de Meta. Pour l'heure, le succès est, disons, relatif... Selon le site TechCrunch, l'app n'a été téléchargée qu'environ 10 000 fois sur Android (dont près de la moitié en Malaisie et en Turquie) et à peine 13 000 fois sur l'App Store, où elle est présentée comme « le meilleur endroit pour partager des moments de vie entre amis proches ». Aucune date de sortie en Europe ou aux États-Unis n'a encore été annoncée, mais cela n'empêche pas l'article de se demander si le lancement de Whee « pourrait être une sorte de plan B permettant à ByteDance de maintenir une présence sociale aux USA si l'interdiction de TikTok se confirme ». | LE CONTENU QU'ON AURAIT ADORÉ FAIRE | | Le 24 juin dernier, les lecteurs du Figaro ont eu la surprise de découvrir, glissé dans leur édition quotidienne, un cahier spécial hors-série intitulé « Ouigorafi ». À la une, des sujets brûlants : « Le nudding : la nouvelle tendance qui consiste à voyager nu pour éviter les suppléments bagages », ou encore « Le billet de train enfant est trop cher, raison pour laquelle les couples ne veulent plus faire d'enfants en 2024 ». Évidemment, l'opération n'est autre qu'une collaboration bien sentie entre Le Gorafi et la marque OUIGO, orchestrée par l'agence Rosa Paris pour démonter les idées reçues qui polluent l'image des trains « low cost » de la SNCF. Cinq « fake news » sont donc traitées par cette campagne qui se décline aussi sur les réseaux sociaux : les bagages supplémentaires « coûtent un bras », le billet enfant est au même prix que le billet adulte, imprimer son billet est obligatoire, il faut arriver au moins trente minutes avant le départ et tous les trains OUIGO partent et arrivent dans des gares de banlieue éloignées du centre de Paris. On vous laisse juge pour les deux dernières cet été... | UNE DERNIÈRE LIANE POUR LA ROUTE | « Le plus important dans les sports individuels, c'est le collectif... » Celui du Team Decathlon, en l'occurrence, dont on peut suivre la préparation dans On se revoit à Paris, un docu de 52 minutes qui nous plonge dans l'intimité de onze des trente-trois athlètes soutenus par l'ex-enseigne préférée des Français. Une galerie de portraits qui échappe à l'appellation « publicité », puisque Decathlon est très peu cité et que, plutôt que d'insister sur le rôle de mécène du groupe, le film fait la part belle aux témoignages des membres de cette équipe chapeautée par l'ancien champion du monde et triple champion d'Europe de marche, Yohann Diniz. Un documentaire émouvant signé Hannah Rosselin et disponible sur France.tv, qui révèle comment, même dans des sports individuels, la vraie force des athlètes réside dans les liens humains et le soutien de leurs proches. Du brand content haut de gamme et malin, quoi. |
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