Évoquer la guerre civile en Algérie – 200 000 morts – est puni, là où elle s'est déroulée, de trois à cinq ans d'emprisonnement. Vous avez bien lu : entre trois et cinq ans de cachot si vous osez simplement « en parler », défier le refoulement imposé par le pouvoir en place. Heureusement, il y a la littérature. Et Kamel Daoud, dont le deuxième roman, Houris (Gallimard), paraît le 15 août, dix ans après son Meursault, contre-enquête (Actes sud), inoubliable manifeste camusien. François-Guillaume Lorrain a pu lire ce « pavé dans une mare de sang ». Il a pris ces 400 pages en pleine figure, qui déchirent le voile de cette guerre cruelle aujourd'hui étouffée qui opposa, entre 1992 et le début des années 2000, les islamistes du Groupe islamique armé (GIA) au régime d'Alger. Cette contre-enquête sur ces années de plomb prend la forme d'un monologue intérieur qu'une nouvelle Antigone – Aube, égorgée mais (sur)vivante – s'adresse à elle-même et à la petite fille dont elle est enceinte. ► ALERTE. Le Point en publie quelques bonnes feuilles, de même qu'une longue et passionnante interview de l'auteur – aussi chroniqueur de notre journal. « L'Algérie cultive l'hypermnésie à l'égard de la guerre d'indépendance et l'amnésie pour cette guerre civile […]. On vous oblige à vous souvenir d'une mémoire que vous n'avez pas et à oublier une mémoire que vous avez », se désole Kamel Daoud. « Écrire, c'est reprendre la parole », confie-t-il à Valérie Toranian et François Guillaume-Lorrain. Désormais établi en France, victime d'une fatwa lancée par un imam de son pays d'origine, Kamel Daoud met en garde : « La dictature commence au ventre comme une crampe, elle n'est pas seulement politique, elle n'est pas juste un régime, c'est une atmosphère. » Puis il ajoute : « Je sais aussi – ce que beaucoup de Français ignorent – qu'un pays peut s'écrouler facilement. Ici prévaut l'illusion que la démocratie occidentale est immortelle parce qu'elle a trois siècles, parce qu'elle a l'âge des pierres des beaux quartiers. » Il n'en est rien. Or, « l'Occident, c'est tout ce que nous avons pour le moment, c'est notre seul lieu de salut ». « Ce refuge de notre humanité imparfaite », il faut le défendre, supplie-t-il. |