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Vendredi 7 juin 2024

C’est la traductrice de Philip Roth qui parle : « En dépit du rire semi-permanent, j’entretenais avec Roth un rapport assez austère. Je n’étais pas son amie, je n’étais pas son amante, je n’étais pas sa sœur, sa cousine, sa parente. Je n’étais que sa traductrice. » Entendez bien : « Que sa ». Tant de regrets dans ces deux mots.

Josée Kamoun a traduit tous les livres de Roth à partir de « Pastorale américaine ». La fusion opère. La magie agit. Philip écrit, Josée traduit. Elle raconte, dans son « Dictionnaire amoureux de la traduction » qui vient de paraître chez Plon, comment elle a amadoué le maître coriace. Ils se rencontrent à Aix-en-Provence où il est venu pour un hommage. La table d’honneur est dressée mais Josée Kamoun est assise loin du plus grand écrivain américain vivant. Soudain, il se lève, va la chercher, et lui demande ce que ça veut dire : « pintade ». Ce n’est pas péjoratif, c’est au menu. Josée Kamoun s’en sort bien ouf. Adoubée. Et chaque fois que Roth publiera un livre, Roth lui demandera de venir à New York pour discuter de la traduction (alors que Roth ne parle pas un mot de français, sauf pintade maybe).

C’est presque un film, cette histoire. A retrouver sur TF1 +dans la catégorie romance. Elle est assise, il est debout (mal au dos). Elle l’interroge sur les nombreuses références dans son dernier manuscrit. Il est intarissable comme le coq en son poulailler grillagé. « Je demande, il répond, il digresse, l’exégèse du monde en trente-six volumes et davantage : éblouissant. » Mais l’inévitable ne se produit pas. Pourquoi la réalité a-t-elle, parfois, un scénariste aussi nul ? Car entre les deux, pas de flirt (et pourtant, Roth !), pas de séduction. Et pourquoi pas de séduction ? Parce que pas de corps : « Nous ne mangeons pas, nous ne buvons pas, nous ne fumons pas. » Seule l’intelligence fuse, écrasante, pyrotechnique.

Tout, dans son récit, montre que Josée Kamoun est pourtant infiniment séduite par Philip. Et l’on sait que, dans ses traductions précisément (meilleure traductrice de France ?) elle montre une sensibilité rare, déploie toujours un luxe de nuances (sa merveilleuse traduction de « Canada » de Richard Ford)… Qu’elle fait, en somme, ce que font tous les grands traducteurs : l’amour avec la langue (mais ce n’est pas dégoûtant).

« Nous étions face à face, sans aucun rapport de séduction. » Amateurs de gossips, soyez-en pour vos frais. Mais voici que Philip meurt, et que se réveille le scénariste de Réalité + : « Des passages entiers de l’œuvre de Roth m’habitent, tantôt dans l’original, tantôt dans ma traduction. » Voyez, finalement. Comme la passion se déchaîne quand le désir est mort. C’est l’érotisme triomphant libéré des problèmes techniques. Il n’y a plus qu’un abandon de soi dans le souvenir de la grandeur, qu’un glissement progressif du plaisir entre l’original et la traduction.

Didier Jacob

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