C’est un autre scrutin qui engage l’avenir d’un président à l’ego démesuré, au comportement fantasque et au destin hors du commun. Non, il ne s’agit pas des prochaines élections législatives décidées à la surprise générale par Emmanuel Macron dimanche 9 juin au soir et qui ont provoqué la plus forte chute de l’indice CAC 40 en une semaine depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022. Mais bien du vote emporté jeudi 13 juin par Elon Musk auprès de ses actionnaires pour valider, pour la seconde fois, sa rémunération extravagante de 56 milliards de dollars. Au terme d’une campagne populiste digne de Donald Trump (qu’il ne dit pas officiellement soutenir même s’il en partage les idées et pourrait l’aider financièrement d’ici aux élections de novembre), Elon Musk a annoncé lui-même, dans un message lunaire sur le réseau social X (qui lui appartient) sa victoire, avant la conclusion du vote à l’assemblée générale. Deux résolutions étaient soumises aux actionnaires : la confirmation de son plan d’acquisition d’actions Tesla au prix de 2018, négocié quand le constructeur de voitures électriques valait moins de 60 milliards de dollars -autant que le méga-bonus qu’il revendique-, alors qu’elle affiche désormais une capitalisation de 500 milliards après avoir brièvement dépassé les 1000 milliards de capitalisation au mieux de sa forme fin 2021. Depuis, le cours de Tesla a été divisé par deux, mais le constructeur américain vaut 10 fois plus que Stellantis et deux fois Toyota. Les actionnaires ont aussi accepté le transfert du siège de Tesla du Delaware au Texas, état réputé plus souple sur les questions de gouvernance. Il faut dire que suite à une plainte d’un actionnaire, la cour de justice du Delaware avait annulé le package colossal du PDG de Tesla, au motif qu’il avait été accordé sans informer convenablement les actionnaires par un conseil d’administration à la botte du fondateur. Qu’à cela ne tienne, Musk a demandé à ses petits porteurs, qui représentent près du tiers de son actionnariat, un nouveau plébiscite. « Votre vote est crucial pour la croissance et la réussite futures de Tesla et pour la valeur de votre investissement », a insisté le groupe automobile, pour souligner l’alignement des intérêts des actionnaires et du fondateur, indispensable pionnier de l’électrification de l’automobile aux Etats-Unis. Pour les convaincre, Tesla a mené une véritable campagne politique, proposant par tirage au sort des visites de la gigafactory d’Austin au Texas en présence d’Elon Musk et de son chef designer. Le groupe a aussi créé un site internet dédié « votetesla.com » et alimenté le débat par des vidéos avec le robot-ouvrier Optimus dont Musk veut faire le futur de ses usines. Il promet que grâce à cette robotisation de la production, le cours de l’action Tesla pourrait atteindre 2600 dollars en 2029, contre 165 actuellement ! Musk a même dit un jour que la valeur du constructeur pourrait dépasser les 25.000 milliards de dollars grâce à son robot humanoïde Optimus. De quoi appâter les gogos qui n’ont pas hésité à accorder à nouveau à Elon Musk son plan de rémunération. Mais pas pour convaincre les investisseurs professionnels à l’image des grands fonds d’investissements qui ont rejeté une nouvelle fois « ce salaire délirant », à l’image du fonds de pension des enseignants de Californie. Même chose pour le fonds souverain norvégien NBIM qui détient près de 1% de Tesla. Que dit toute cette affaire de l’évolution du capitalisme américain ? Que quand les bornes sont franchies, il n’y a pas de limites au « Greed », à la cupidité humaine. Entre les 56 milliards de dollars d’Elon Musk et les 36,5 millions d’euros de Carlos Tavares, le patron de Stellantis, on n’est pas dans la même échelle. Certes, l’un est le fondateur et premier actionnaire d’une entreprise dans laquelle il dit d’ailleurs vouloir se renforcer pour atteindre les 20% du capital. L’autre est un manager de talent récompensé pour avoir su créer de la valeur pour ses actionnaires. Mais ce qui est frappant, c’est qu’Elon Musk est devenu une icône telle que sa parole vaut toutes les garanties pour ceux qui veulent bien y croire. Une foi presque irrationnelle relie les intérêts des petits actionnaires de Tesla et ceux de son patron, au risque de la chute finale. Après des débuts fantastiques, portés aussi par la vogue de l’ESG dans la finance qui a conduit nombre de gestionnaires d’actifs à acheter des actions Tesla les yeux fermés, les marchés ont commencé à douter de l’hubris d’Elon Musk. Car à bien y regarder, les performances de Tesla sont à la baisse, comme le montrent les résultats du premier trimestre. Et l’action a quitté les rangs des « Sept Magnifiques », ces géants de la tech que les investisseurs du monde entier s’arrachent et dans lesquels on trouve Apple, Nvidia, Microsoft, Meta, Google et Amazon… Dans la course à la voiture électrique, on voit bien que Tesla n’arrive pas à sortir de petit modèle compétitif face à la déferlante chinoise. De sorte que si Elon Musk ne tient pas ses promesses de création de valeur, il aura surtout réussi à abuser ses petits porteurs… |