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Vendredi 14 juin 2024

Quand tout va mal, quand les repères se brouillent ou qu’une lumière trop grande révèle les êtres dans leur véritable nature corrompue, chacun a ses grigris, ses fétiches, ses marottes vers lesquels se tourner. Le disque favori à écouter en boucle, les pages à relire, ce film à décortiquer une énième fois le temps d’oublier la catastrophe intime ou non qui nous étreint entre ses serres.

Il en est une sur laquelle il m’arrive de me pencher quand sévit la tempête. Ce réflexe ancien a sans doute été acquis au moment de mes chères études quand face à un sujet de dissertation ardu, l’élève dépourvu d’idées ouvrait cet objet dans l’espoir d’y trouver des débuts de réponse et qu’à chaque fois, il se trouvait exaucé. Ne possédant plus, pour une raison que je ne m’explique pas, le vieil exemplaire du dictionnaire de la langue française du Littré, je me suis plongé il y a quelques jours de cela dans sa version en ligne afin d’y lire ce que ce brave Emile et ses camarades avaient à nous dire du mot « dissolution ». Je n’ai pas été déçu.

« Séparation des parties d’un corps par voie de décomposition. Tomber en dissolution ». Apprend-on dès la première ligne, il s’agit bien d’une chute, d’une abdication, d’une défaite. « Terme d’ancienne pathologie, poursuit l’auteur des 415 636 feuillets achevés entre 1841 et 1872, dissolution des humeurs, du sang, la trop grande fluidité du sang, des humeurs ». A croire que celui qui dissout est également malade, coupable d’un grave mouvement d’humeur, d’un coup de sang. En rhétorique, apprends-je également, il s’agit du « Nom donné quelquefois à la figure appelée ordinairement disjonction ». Disjoncter, le terme dans sa signification contemporaine est encore plus parlant, une histoire de fou donc. Plus loin, le tableau s’assombrit encore : « Dérèglement de mœurs, débauche » agrémenté d’une belle expression « vivre dans la dissolution ». Il s’agirait non pas seulement de l’œuvre d’un corps et d’un esprit malade mais d’une personne sans morale, d’une âme corrompue. Le Littré nous rappelle à l’occasion cet avertissement tiré de la Bible : « Ne vous laissez point aller aux excès du vin, d’où naissent les dissolutions ». Bien sûr, aujourd’hui on sait qu’il existe d’autres ivresses, celles du pouvoir et de soi notamment, tout aussi malsaines.

« Tant de dissolutions capables d’attirer la colère du ciel sur les plus justes entreprises » précise le dictionnaire en citant Jean-Baptiste Massilon, évêque de Clermont au XVIIIe siècle. Ainsi, qui dissout le bien provoque le mal, au risque de l’attirer sur lui et d’être puni en retour. Et voilà que le brave Montaigne, l’homme des Essais, vient conclure l’affaire : « Nous appelons improprement désespoir cette dissolution volontaire [le suicide] ». Nous y voilà, l’acte de dissoudre peut signifier la mort de ce qui est abrogé comme celle de celui qui abroge et en cela, le mot évoque un acte suicidaire. Dès lors, remontent en mémoire d’autres mots, ceux de Tocqueville, voyageur observant à la loupe l’Amérique et tombant le jour de Noël 1831 sur la scène suivante : des tribus d’indiens Chactas sont chassées de leurs terres pour être transportées de l’autre côté du fleuve Mississippi : « C’est un singulier hasard qui nous a fait arriver à Memphis pour assister à l’expulsion, on peut dire à la dissolution d’un des derniers restes de l’une des plus célèbres et des plus anciennes nations américaines ». L’Histoire nous apprend ainsi qu’il arrive qu’une nation puisse être dissoute ou plutôt qu’on la dissolve.

Arnaud Sagnard

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