On parle beaucoup, en ces temps esquintés, de la fiction réparatrice. Cette semaine, concentrons-nous sur les fictions révélatrices. Celles qui, au fil des pages d’un roman, font éclore et croître nos visions du monde, les éclairant d’une phrase ou d’une forme inédite.
Chez Claro, la traque des origines de son écriture lui donne des pouvoirs étranges, comme Des milliers de ronds dans l'eau. Dans Vies et survies d’Elisabeth Halpern, Carine Hazan s’entoure de créatures merveilleuses pour mettre au jour les fantômes accrochés aux souvenirs de sa grand-mère. Fascinée autant qu’effrayée par l’expérience du vertige, Olivia Rosenthal a recueilli la parole de funambules et d’acrobates. Une femme sur le fil est leur boîte à secrets: elle ne s’ouvre que pour les lecteurs.
En plein cœur de l’hiver, «un livre doit être la hache qui fend la mer gelée en nous», comme l’écrivait Kafka à son ami Oscar Pollack dans une lettre de 1904. Vite, vite, avant que le réchauffement climatique ne rende caduques les vertus des métamorphoses littéraires, lisons!
Bonnes écoutes et bonnes lectures! Salomé Kiner
Claro, Des milliers de ronds dans l'eau, ed. Actes Sud
A travers ses souvenirs intimes et les mémoires collectives, Claro traque, dans une langue touffue et introspective, les origines de sa vocation d’écrivain. Une route qui passe par l’Algérie et ses violences politiques, par un poète hongrois et les labyrinthes du deuil. Un récit qui se joue des codes de l’autofiction et prend les formes d’une enquête personnelle. FB
Olivia Rosenthal, Une femme sur le fil, ed. Verticales
En tentant de dérouler l’histoire de Zoé, enfant poursuivie par un oncle insistant, Olivia Rosenthal bloque: le récit se refuse à elle et ne pourra exister que sous la forme d’un texte hybride de 1000 chapitres où ce sont les fils, racontés sous toutes leurs formes, qui aideront la jeune Zoé à se libérer de l’emprise. SK Lire la suite
Carine Hazan, Vies et survies d'Elisabeth Halpern, ed. Phébus
Lorsqu’Elisabeth Halpern, octogénaire rescapée de la Shoah, convoque sa petite-fille dans les Alpes australiennes, c’est pour la convaincre d’éliminer son fiancé, ancien officier SS. Un roman qui réunit dans des formes multiples les questions de vengeance, de justice, de matrilinéarité et de chimères fantastiques. EI Lire la suite
Suivant l’élan utopique de Mai 68, les éditions Zoé voient le jour en 1975 et fonctionnent pendant dix ans comme un atelier où imprimerie et édition sont réunies sous un même toit. Elles célèbrent cette année un demi-siècle d’observation et d'accompagnement du monde de la littérature helvétique. EI
Paris, le 19 novembre 1919: Shakespeare and Company ouvre ses portes. C'est l'Américaine Sylvia Beach, petit bout de femme passionnée de littérature qui donne vie à celle qui deviendra une librairie légendaire, véritable refuge sur la Rive Gauche pour les plus grands intellectuels du XXe siècle. D’Ezra Pound à Gertrude Stein en passant par Ernest Hemingway, Sylvia Beach a marqué l’histoire de la littérature - c'est elle la première éditrice d'Ulysses de James Joyce! Un roman graphique polyphonique passionnant, émouvant, engageant. SG
Roman
Velia Ferracini, Lave mes cendres, ed. Encre Fraîche, 256 p.
Martha a grandi dans le nord de l’Islande, dans le froid, dans le sexisme inhérent à son pays et sa famille. Pourtant, c’est à Paris qu’elle se rêve poétesse, puis épouse d’un écrivain. De cette union naît une fille, dans une chambre toute rose. Or, devenue adolescente, la jeune femme dit qu’elle est homme; mais est-ce vraiment là la raison qui poussera sa mère au suicide? Un premier roman aéré et amer de la jeune autrice valaisanne Velia Ferracini, où les mots dansent au rythme des éruptions de l’Eyjafjallajökull. EI
Polar
Antonio Albanese, On achève bien les centenaires, ed. BSN Press, 120p
Avec On achève bien les centenaires, Antonio Albanese déroule sur un rythme trépidant un polar à l’humour noir qui ne dit pas son nom. Son héros milliardaire Matteo Di Genaro remue le passé alors que dans l’immeuble napolitain de son enfance au cœur des Quartiers Espagnols, le grand-père de son ami marocain, un quasi centenaire, a été assassiné. Crime mafieux, raciste, ou autre? Avec Léa, sa filleule ado rebelle, au guidon d’une moto teutonne qu’il déteste, il remonte la piste d’un secret de famille inavouable. Ce court roman, aussi ludique qu’instructif, se siffle d’un trait. PC
Roman
Andreï Makine, Prisonnier du rêve écarlate, ed. Grasset, 416 p.
Sur le modèle des grandes sagas de la littérature russe, Andreï Makine nous invite à traverser plus d’un demi-siècle de relations franco-russes à travers le destin fictif de Lucien Baert, ouvrier de Douai happé par l’illusion collectiviste. Entre la réalité violente de l’URSS des années 1940 et les postures dogmatiques du Paris maoïste de 1968, les mondes que traverse cet homme ordinaire disent tout de l’aveuglement des idéologies et des lâchetés morales qui les entretiennent. Reste l’amour, seul éclair de vérité dans la grande nuit du mensonge. Une odyssée remarquable. NJ
Aude Picault, Moi je, Quarantaine, ed. Charivari
Aude Picault dévoile avec franchise et humour sa survie quotidienne de mère. Dans son nouvel album Moi je, quarantaine, la dessinatrice française croque l'usure du couple, les agendas surchargés, l'éco-anxiété, mais aussi les petits plaisirs et les belles échappées. SC
La danse des pères, le roman funky makossa de Max Lobe
RTS Première, Quartier Livre, dimanche 9 février à 16h
A la fenêtre de son appartement genevois, Benjamin Muller, danseur classique, remonte le fleuve de son héritage familial camerounais. Dans une langue tournoyante et aussi vive que l’eau d’une source, Max Lobe raconte dans La danse des pères (ed. Zoé) celles et ceux qui ont fabriqué son protagoniste. Un roman où se mêlent Boléro, funky makossa, bière et oiseau de feu. EI
C’est du côté de Monthey, en Valais, que l’on retrouve notre journaliste Layla Shlonsky cette semaine pour un nouvel épisode de Booké. Du rock britannique, du roman d’anticipation, des portraits de femmes valaisannes et un peu de littérature young adults, c’est le programme de la semaine.
La bande dessinée suisse s'est fait remarquer lors du dernier festival d'Angoulême. L'éditeur genevois Atrabile est reparti avec le prix Révélation de la meilleure première oeuvre pour Ballades, de Camille Potte. Et une nouvelle génération d'éditeurs romands se fait une place sur ce marché en pleine ébullition.
En avance sur la saison, le premier roman de la jeune romancière Léna Furlan laisse éclore ses notes comme autant de nouvelles feuilles, à la fois familières et extraordinaires. Leprintemps, peut-être, laisse imaginer une plume souple et franche, qui du matériau de l’écriture se délecte autant qu’elle se sert.
Ont collaboré à ce numéro Francesco Biamonte, Sarah Clément, Anne Laure Gannac, Sophie Grecuccio, Mélissa Härtel, Ellen Ichters, Nicolas Julliard, Salomé Kiner, Garance Parvis.