Les retardataires du vol pour Copenhague se bousculent, transpirants, sacs Ă lâĂ©paule, trop nombreux. LâhĂŽtesse soupire. Ă Paris, la ponctualitĂ© nâest pas scandinave. Son passeport marocain dans les mains, Kenza a le regard vitreux. Assise depuis trois heures, elle est entrĂ©e dans cet Ă©tat second qui sâinstalle lors des longues attentes, celles oĂč le temps ne compte plus, oĂč le cerveau est courtâcircuitĂ©. Une boule grandit dans son ventre, accompagnĂ©e dâune montĂ©e de salive. Les dents serrĂ©es, elle dĂ©glutit. Petite, au jeu de quelleâestâtaâcouleurâprĂ©fĂ©rĂ©e, elle rĂ©pondait toujours vert. Aujourdâhui, Kenza dĂ©teste cette couleur, celle de son passeport, surtout dans les aĂ©roports quand, au contrĂŽle des frontiĂšres, il faut choisir sa file. Ă droite, les passeports français et europĂ©ens. Ă gauche, le reste du monde. Ă droite, le rouge bordeaux. Ă gauche, le vert. Ă droite, la libertĂ© dâaller presque oĂč lâon veut. Elle en rĂȘve. Pour cela, il faut ĂȘtre français et, dans cette vie, Paris serait enfin Ă elle. Les agents de la prĂ©fecture ne se permettraient plus de lui parler comme sâils pouvaient la virer de la RĂ©publique dâun claquement de doigts. Une voix la tire de ses pensĂ©es, un membre du personnel de la compagnie Royal Air Maroc : â Madame, vous allez Ă Casablanca ? On commence lâembarquement. DĂ©solĂ© pour lâattente. Elle se lĂšve, enroule son Ă©charpe autour du cou et avance vers la porte G20 en traĂźnant sa petite valise derriĂšre elle. Elle tend son passeport et sa carte dâembarquement Ă lâhĂŽtesse, jette un dernier regard Ă la porte G21 Ă destination de Copenhague. Elle aurait tant aimĂ© ĂȘtre europĂ©enne, respectĂ©e dans son pays et heureuse dây vivre. Des larmes montent, elle les ravale et la voix du commandant de bord souhaitant, en arabe, la bienvenue aux passagers la ramĂšne Ă sa rĂ©alitĂ©. |