Si les derniers événements du monde vous donnent envie de prendre un aller simple pour Mars ou de vous plonger dans une lecture poétique et savante, défrichant des horizons méconnus, exotiques et pourtant juste sous notre nez, ouvrez « Premiers cris », un essai-enquête-récit remarquable, signé par Clémentine Goldszal qui vient de paraître au Seuil. Cette journaliste s’est immergée plusieurs mois dans le quotidien d’un service de néonatologie de l’hôpital Necker et sur la naissance de cette discipline médicale si particulière. Avec une minutie chirurgicale mais aussi une attention sensible, empathique, elle a observé des soignants au savoir fascinant et presque magique qui s’efforcent à chaque instant de reculer les frontières de la vie, des parents désarçonnés, parfois foudroyés ou éperdus d’espoir. Elle a surtout plongé son regard sur les grands prématurés, les plus fragiles des nouveau-nés. « Quiconque se voit accorder le privilège de regarder ces tout petits êtres lutter par leur survie est d’emblée obligé par leur puissance et leur insignifiance ».
Sous sa plume, les termes médicaux, comme « dérivation sous-galéale », « épidermolyse bulleuse » ou « microchimérisme transplacentaire » deviennent un territoire peu à peu défriché, abordable. Ils éclairent et dévoilent les heures poignantes d’un conte de vie et de mort, en tracent les contours et les épisodes, à mi-chemin entre bricolage et haute technologie. Une épopée que le profane ne peut soupçonner, même lorsqu’il en est le témoin. C’est d’ailleurs pour l’avoir éprouvé que lui est venue l’envie de se lancer dans cette aventure, comme elle l’a raconté au « Nouvel Obs ». « Lorsque j’ai donné naissance à mon fils, il y a eu un moment marquant : il émettait de petits geignements que son père et moi avions trouvés extrêmement mignons mais qui, en fait, étaient l’expression d’une détresse respiratoire. » Tout est ensuite heureusement rapidement rentré dans l’ordre, mais Clémentine Goldszal a alors réalisé combien les bébés constituent une terra incognita, « cette confusion initiale élémentaire, cette mauvaise lecture d’un signal envoyé par mon propre bébé à sa naissance m’a marquée. »
Car les nouveau-nés sont des êtres un peu surnaturels, arrivant comme d’un autre monde, ainsi que nous l’expliquait l’anthropologue Charles Stépanoff à la sortie de son dernier livre « Attachements » (La Découverte) : « Nous avons perdu de vue leur étrangeté profonde aux yeux d’un adulte. Ils ne manifestent aucune des compétences qui définissent notre espèce : la bipédie, le langage, la pensée symbolique. C’est tout à fait singulier parmi les mammifères. » La journaliste a voulu pénétrer leurs existences qui parfois s’achèvent avant même d’avoir commencé, nous en faire partager l’inaccessible étrangeté mais aussi l’humanité. « Mon fantasme était de donner une voix aux bébés » nous a-t-elle expliqué. Pari parfaitement réussi. Et cette voix résonne encore en nous après qu’on a refermé son livre.
Véronique Radier