Janvier 2022 Il y a trois ans, une femme Ă©tait assassinĂ©e Ă dix minutes Ă pied de chez moi. Elle Ă©tait arrivĂ©e en France un an plus tĂŽt, avec lâespoir de gagner assez dâargent pour offrir une maison Ă sa mĂšre restĂ©e au pays. Depuis lâannonce de sa mort, je me rĂ©veille la nuit trempĂ© de sueur, le poids de son cadavre sur le ventre, son corps et mon corps rouĂ©s de coups. Son histoire est devenue la mienne. La voici. AoĂ»t 2018 Le XVIe arrondissement de Paris, fin aoĂ»t, est une bourgade endormie, qui prend des forces avant le grand rĂ©veil. Squares abandonnĂ©s, volets clos, commerces et cafĂ©s fermĂ©s, vĂ©gĂ©tation dĂ©bordant des terrasses et des balcons, chats alanguis sur les murets, quelques vieilles dames esseulĂ©es promĂšnent leurs bichons. Revenu de mes quartiers dâĂ©tĂ©, je feuillette la pile de journaux et magazines trouvĂ©s sur le guĂ©ridon de lâentrĂ©e. Dâun Ćil distrait, je survole le numĂ©ro de rentrĂ©e de Paris Match : « Meghan Markle insuffle un vent de modernitĂ© vestimentaire Ă la famille royale, Emmanuel Macron affronte des revendications sur le pouvoir dâachat, la rentrĂ©e littĂ©raire sera fĂ©ministe et dĂ©coloniale ». Plus loin, un reportage de huit pages, « Les Nuits fauves du bois de Boulogne », raconte, photos Ă lâappui, lâassassinat quelques jours plus tĂŽt dâune prostituĂ©e abattue dans une allĂ©e du PrĂ© Catelan. Son corps nu, ensanglantĂ©, gisant dans lâherbe clairsemĂ©e du bois, sâĂ©tale sur une double page du magazine. ImmĂ©diatement je sais. Mains moites, cĆur tambourinant, incapable de fixer mon attention, jâattrape Ă la volĂ©e quelques mots imprimĂ©s sur la page : vols, coups de couteau, balle mortelle. Sur la photo, ses yeux sont floutĂ©s, impossible de reconnaĂźtre son visage, mais son prĂ©nom et son patronyme sâaffichent en majuscules en ouverture de lâarticle : Laura Fuentes. Jâouvre la fenĂȘtre Ă la recherche dâun peu dâair. Dans la rue, rien nâa changĂ©, le soleil est haut dans le ciel, les passants passent et les oiseaux oisellent mais en moi, tout a changĂ©. Je suis un criminel et je dois vivre avec cette rĂ©alitĂ©. Ă grands pas je me dirige vers le commissariat de lâavenue Mozart, pressĂ© de dĂ©poser mon fardeau. |