Qui pilote l'avion pour sauver la Nouvelle-Calédonie ? Depuis la nomination de Michel Barnier à Matignon, le dossier semble être revenu - comme le veut la tradition depuis Rocard - entre les mains du Premier ministre. Terminé, le temps où le brûlant sujet dépendait du ministre de l'Intérieur. Les émeutes du mois de mai, déclenchées par le projet de réforme constitutionnelle du dégel du corps électoral, ont eu raison de la méthode de négociation du gouvernement précédent. Lancée par le président de la République et l'ancien occupant de Beauvau, Gérald Darmanin, elle a souvent été perçue comme trop directe par les acteurs locaux. Partielle, aussi, les indépendantistes accusant l'Etat de perdre sa tradition de neutralité et de prendre fait et cause pour le camp loyaliste. Après plus de cinq mois de violences, l'heure de la rondeur et de la prudence ont sonné.
"Nous sommes dans l’impasse, estime Alain Christnacht, ancien Haut-commissaire en Nouvelle-Calédonie et négociateur de l’accord de Nouméa. Mais il y a un trou de souris pour en sortir. C’est ce que Michel Barnier a diagnostiqué". Pour y parvenir, le Premier ministre aura à ses côtés François-Noël Buffet, ancien président de la commission des lois du Sénat. Après des années passées sous la houlette de Beauvau, le ministère délégué aux Outre-mer revient rue de Grenelle. Les deux hommes se rendront en Nouvelle-Calédonie prochainement. François-Noël Buffet ayant choisi le Caillou pour son premier déplacement, du 16 au 18 octobre. Michel Barnier a quant-à-lui indiqué à la Tribune Dimanche s'y rendre "le temps venu".
Dans son discours de politique générale devant le Parlement, le Premier ministre a également esquissé une feuille de route. Les présidents des deux chambres, fins connaisseurs de l’archipel, ont accepté de diriger "une mission de concertation et de dialogue" et se rendront "prochainement" en Nouvelle-Calédonie. Poussée par les parlementaires, cette intervention de Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher se déroule dans un calendrier serré, alors que doit être discuté prochainement le projet de loi de finances pour 2025. A cette mission s’ajoute une délégation interministérielle, là encore placée auprès du Premier ministre et du ministre chargé des outre-mer. Composée de hauts fonctionnaires en cours de recrutement, elle devrait naviguer entre Paris et Nouméa. Plusieurs noms circulent pour la chapeauter, dont celui du haut fonctionnaire Eric Thiers. Membre de la mission de médiation envoyée en Nouvelle-Calédonie par le président en mai 2024, cet ancien conseiller d’Emmanuel Macron serait suggéré par l’Elysée pour endosser ce rôle. Peut-être une manière, pour le chef de l'Etat, de conserver un oeil sur ce dossier sur lequel il s'était personnellement engagé. N'est-il pas lui-même allé dans l'archipel en mai, peu après le début des émeutes, pour tenter d'apaiser la situation ? "Matignon estime que le processus initié par le président et son ancienne majorité a échoué, et qu’il faut donc changer de méthode. Mais l’Elysée pense qu’il peut encore jouer un rôle et contribuer à faire sortir un accord", schématise un acteur calédonien, interlocuteur régulier de l’exécutif. "La question est de savoir si le président de la République va réellement finir par se dessaisir du dossier ou pas, abonde Georges Naturel, le sénateur (LR) de Nouvelle-Calédonie. Cela va être la discussion des prochaines semaines".
Il faut pourtant éclaircir ce point très vite. Dévastée par les violences, son système économique ravagé - près de 6 000 emplois sont partis en fumée -, son filet social en ruine, Nouméa ne peut pas payer le luxe d'atermoiements. "Si l’on tergiverse trop, le système économique et social va s’effondrer, prévient David Guyenne, président de la chambre de commerce et d’industrie de Nouvelle-Calédonie. Nous avons une fenêtre d’opportunité en novembre. Il ne faut pas la rater".