« Europa-pa-pa-pa-pa-pa-pa-pa-pa »… Pas besoin de parler néerlandais pour apprécier la chanson du peroxydé Joost Klein, représentant des Pays-Bas à l’Eurovision, dont la finale aura lieu le 11 mai à Malmö, en Suède. Dans un clip déjanté, il martèle, sourire et épaulettes XXL, son jeu de mots sur une mélodie qui rappelle les pires heures de l’eurodance. En dépit ce qu’en disent les bookmakers, je soutiens qu’« Europapa » a toutes les chances de gagner. Parce que la chanson fait allusion à de nombreux fleurons du patrimoine européen (les escargots, la paella, Stromae…) et que les jurés n’aiment rien tant que l’on parle d’eux − ça vaut pour tous les concours −, parce qu’elle garde son identité nationale en utilisant le gabber, variation hollandaise de la dance et parce qu’elle renferme une histoire tragique. Klein rend hommage à son papa-pa-pa-pa-pa, fervent défenseur de l’Union européenne décédé trop tôt pour voir son fils sur la scène de l’Eurovision.
Faut-il préciser en sus que c’est un tube en puissance, un ver d’oreille qui hante l’esprit des jours entiers ? D’autant plus quand on découvre la fantastique version d’« Europapa » par Mirjam Stolk, interprète NGT, la langue des signes néerlandaise. Habillée d’une veste bleu Klein, elle prouve que les jeux de mots sont transposables en gestes − et qu’elle a le rythme dans la peau. Spécialiste de l’interprétation musicale, Mirjam Stolk a une chaîne YouTube bourrée de pépites. Je conseille notamment sa reprise de « I Want It That Way » des Backstreet Boys et sa très jolie façon de signer « heartache » (chagrin d’amour).
Mirjam Stolk a donné il y a des années une interview au « Financial Times », dans laquelle on apprend que « la langue des signes n’est pas seulement une traduction du monde parlé. Les gens pensent souvent qu’il s’agit de mot à mot, à la manière d’un télégramme. Or, c’est une langue à part entière, avec sa propre grammaire ». La difficulté s’accroît pour les chansons, parce qu’il faut respecter le tempo, mais aussi, parfois… les rimes. « Il faut placer ses mains de la même manière pour former les deux mots qui riment. Les sourds le font lorsqu’ils écrivent de la poésie. Ils abandonnent les règles et font des signes qui n’existent même pas. »
Forte de cette information, me voilà repartie pour un vagabondage numérique qui m’amène à toutes sortes de merveilles, dont les fabuleuses soirées new-yorkaises ASL Slam créés par Douglas Ridloff, du slam en langue des signes américaine, ou les poèmes écrits directement en langue des signes française par Chantal Liennel ou Levent Beskardes, comme détaillés dans cette étude passionnante sur les questions de traduction. Rien que pour ça, Pays-Bas : 12 points.
Amandine Schmitt